Collectif des prisonnièr(e)s des Cellules Communistes Combattantes,
mai 1990

Sur le Parti Combattant
Une divergence avec les camarades espagnols

1.       Présentation

En février 1986, les militants du PCE(r) et des GRAPO réunis au sein de la Commune Karl Marx à la prison de Soria ont rendu public un document intitulé « Parti et guérilla ». Ce document, qui expose de manière très circonstanciée les positions des camarades espagnols sur la problématique de la relation entre parti révolutionnaire et lutte armée révolutionnaire, fut accueilli dans notre pays avec tout le respect et l'intérêt que mérite un travail sérieux, solidement argumenté ( à partir d'une riche expérience pratique ), franchement attentif aux principes du Marxisme-Léninisme, et consacré à un sujet aussi capital pour le mouvement communiste.

L'étude de « Parti et guérilla » nous a permis de discerner avec précision les points de convergence et les points de divergence entre la conception défendue par les militants espagnols et celle à laquelle nous adhérons. Et c'est donc naturellement sur la base de ce document que s'est amorcé ( après quelques tentatives sabotées par les censures carcérales respectives ), début 1989 et de prison à prison, un débat portant sur la question essentielle des rapports entre Parti et lutte armée.

Pour notre part, nous n'avons pas jusqu'à présent eu l'occasion d'exposer notre point de vue sur cette question spécifique dans un document équivalent à « Parti et guérilla ». Cependant, on la trouve abordée dans plusieurs communiqués des Cellules Communistes Combattantes ( de façon la plus complète dans le « Document du Premier Mai : A propos de la lutte armée » ), et, d'autre part, nous nous rallions aux contenus d'autres contributions théorico-politiques qui, pour être extérieures à notre organisation, nous paraissent fort proches de nos propres positions ; parmi ces contributions, bien sûr quelques documents du mouvement révolutionnaire italien mais, surtout, le remarquable manifeste du camarade Frédéric Oriach intitulé : « La lutte armée, nécessité stratégique et tactique du combat pour la révolution », — auquel nous nous permettrons de faire plusieurs fois référence dans le cadre de cette intervention.

C'est dans la perspective de la publication d'un numéro consacré aux « Textos para el debate en el movimiento revolucionario europeo » des militants du PCE(r) et des GRAPO ( recueil de textes dont relève « Parti et guérilla » ), que le collectif de la revue Correspondances Révolutionnaires nous a demandé de rédiger une « présentation » du débat mené avec les camarades prisonniers à Soria. Cette suggestion nous a paru heureuse dans la mesure où, en raison des conditions pratiques des échanges ( à savoir une correspondance soumise aux aléas des censures pénitentiaires qui rivalisent de kleptomanie, nécessitant la traduction, imposant d'importants délais pour nous permettre la consultation, etc. ), le débat progresse avec une lenteur exaspérante et au seul bénéfice d'un cercle trop restreint.

D'ailleurs, à l'heure où nous écrivons ces lignes, les contacts sont à nouveau rompus : suite à la grève de la faim des militants du PCE(r) et des GRAPO, le courrier qui leur est envoyé est systématiquement retourné à l'expéditeur. La proposition avancée par Correspondances Révolutionnaires était donc d'autant plus pertinente qu'elle permettait, sans devoir attendre un hypothétique aboutissement du débat ouvert entre quelques-uns, de mettre celui-ci à la portée d'un plus grand nombre.

Précisons qu'il faut faire attention à ne pas prendre le travail qui suit pour ce qu'il n'est pas. Notre apport ici n'est pas un compte-rendu impartial, et encore moins un bilan de la discussion en cours. C'est une intervention ouvertement partisane, dans laquelle nous défendons notre thèse, nous développons nos arguments, et nous critiquons les aspects de la thèse des camarades espagnols qui nous semblent incorrects.

La publication de « Parti et guérilla » et le fait que les colonnes de Correspondances Révolutionnaires sont largement ouvertes à une éventuelle réaction des militants espagnols nous semblent autoriser cette façon de faire.

Toutefois, notre intervention dépasse quand même le cadre d'une première critique à « Parti et guérilla » : les analyses et les arguments que nous y défendons ont déjà été éprouvés, trempés et affinés dans le débat. En d'autres termes, les réflexions que nous présentons ici sont celles qui, à notre avis ( qui n'est pas celui des camarades de la Commune Karl Marx ), ont triomphé jusqu'à présent des objections qui leur furent opposées dans la discussion.

Le débat n'a pas eu de résultat spectaculaire en ce que ni nous ni les militants du PCE(r) et des GRAPO n'avons reconsidéré fondamentalement les positions que nous défendions respectivement à l'origine. Mais ce débat ( qui, rappelons-le, est loin d'être épuisé aujourd'hui ) a eu l'indiscutable mérite de clarifier les positions de part et d'autre, de creuser les questions clés d'une problématique fondamentale pour le mouvement communiste, de traduire un progrès commun. C'est un peu tout cela que nous essayons de transmettre dans le document qui suit, en espérant surtout, de cette façon, susciter d'autres participations constructives. La reprise — plus forte — de l'initiative révolutionnaire ne peut en faire l'économie.

2.       Du caractère stratégique de la lutte armée

Il est évident que l'on ne peut apporter de réponse correcte à la question des rapports entre Parti et lutte armée sans s'appuyer sur une vision claire du rôle et de la place de cette dernière dans la stratégie révolutionnaire et donc, a fortiori, sans maîtriser une conception claire de la stratégie révolutionnaire elle-même. Des principes tels que « le Parti commande aux fusils », aussi justes sont-ils ( et aussi bienvenu est-il de les rappeler sans cesse ! ), restent malgré tout insuffisants parce que trop généraux : ils peuvent s'accommoder d'un trop vaste éventail de types de rapports entre Parti et lutte armée. Voilà pourquoi, avant toute autre chose, nous pensons devoir exposer même rapidement ( en nous tenant à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui est nécessaire pour aborder sérieusement le débat avec la Commune Karl Marx ), notre conception de la stratégie révolutionnaire, du rôle qu'y joue et de la place qu'y occupe la lutte armée.

A l'instar des camarades espagnols,

« Nous pouvons dire qu'à notre avis, notre révolution passera par deux phases ; la phase défensive stratégique du développement de la Guerre Populaire Prolongée 1 et la phase de l'insurrection. (...) En prenant par exemple le débat amorcé dans les Brigades Rouges, nous croyons que « guerre prolongée » et « insurrection » sont deux concepts complémentaires et non pas exclusifs l'un de l'autre. Ce n'est qu'à partir des principes que nous pouvons comprendre la portée et les significations réelles que recouvrent dans nos pays ces deux concepts » 2.

C'est cette réflexion globale qui nous amène à rejeter comme déviation droitière ( opportuniste ) la position refusant l'emploi stratégique de la lutte armée dans des situations non insurrectionnelles, et comme déviation gauchiste ( volontariste ) la position prétendant à l'aboutissement révolutionnaire au seul bon soin d'une pratique politico-militaire soutenue.

On lit encore dans « Parti et guérilla » :

« En tenant compte des caractéristiques actuelles de notre société, nous considérons que l'objectif de la première phase de la stratégie communiste est de créer les conditions subjectives et de favoriser le développement des conditions objectives nécessaires pour que se crée une situation révolutionnaire insurrectionnelle. Cette phase correspond à l'étape défensive de la G.P.P. Ce n'est que lorsque toutes ces conditions seront réunies que pourra intervenir la phase insurrectionnelle » 3.

Tout le problème réside donc dans la distinction entre facteurs objectifs ( qui relèvent des contradictions propres au mode de production — ici capitaliste et s'expriment à travers leur influence sociale ) et les facteurs subjectifs ( qui relèvent du rôle de la politique communiste ). Dans leur distinction et dans la compréhension de leur complémentarité : la situation révolutionnaire surgit de l'exacerbation des facteurs objectifs, et c'est par la conjonction de cette situation et de la maturité des facteurs subjectifs que se réalise la révolution à travers l'insurrection victorieuse.

Comme on le voit, nous adhérons sans restriction à la thèse léniniste de la « situation révolutionnaire », génialement résumée dans ce passage déjà cité à plusieurs reprises notamment dans le débat interne au mouvement révolutionnaire italien :

« Pour un marxiste, il est hors de doute que la révolution est impossible sans une situation révolutionnaire, mais toute situation révolutionnaire n'aboutit pas à la révolution. Quels sont, d'une manière générale, les indices d'une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici : 1. Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du « sommet », crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l'indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que " la base ne veuille plus " vivre comme auparavant, mais il importe encore que " le sommet ne le puisse plus ". 2. Aggravation, plus qu'à l'ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées. 3. Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l'activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes " pacifiques ", mais qui, en période orageuse, sont poussées tant par la crise dans son ensemble que par le " sommet " lui-même, vers une action historique indépendante. »
Et Lénine de poursuivre
  Sans ces changements objectifs, indépendants de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible. C'est l'ensemble de ces changements objectifs qui constitue une situation révolutionnaire. On a connu cette situation en 1905 en Russie et à toutes les époques de révolutions en Occident ; mais elle a existé aussi dans les années 60 du siècle dernier en Allemagne, de même qu'en 1859-1861 et 1879-1880 en Russie, bien qu'il n'y ait pas eu de révolutions à ces moments-là. Pourquoi ? Parce que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs ci-dessus énumérés, vient s'ajouter un changement subjectif, à savoir : la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement ( ou partiellement ) l'ancien gouvernement, qui ne " tombera " jamais, même à l'époque des crises, si on ne le " fait choir ". » 4

Il en résulte que tout projet stratégique qui négligerait les conditions objectives de la situation révolutionnaire, telles que les souligne Lénine, relèverait essentiellement du volontarisme et du subjectivisme, — d'une décision plus ou moins consciente de faire la révolution sans les masses et hors de l'histoire. Impulser un processus de guerre révolutionnaire en prétendant en faire surgir toutes les conditions nécessaires au succès révolutionnaire est donc une terrible erreur. D'autant plus énorme que les caractères objectifs de la situation révolutionnaire ne sont pas seulement nécessaires : ils sont tout simplement inévitables, en ce qu'ils procèdent du mouvement historique dialectique, et plus particulièrement dans ce cas des convulsions inhérentes à un mode de production en crise. Ainsi, la situation révolutionnaire constitue une sorte de rendez-vous historique majeur en fonction duquel la stratégie révolutionnaire doit se structurer 5.

Le matérialisme historique ne relevant pas de l'art de la divination, les communistes ne sont pas plus capables que personne de prédire quand mûrira une situation révolutionnaire en Europe occidentale. Peut-on la fixer à l'ordre de la prochaine réactivation de la crise générale du mode de production ( dans une nouvelle et nième crise cyclique de surproduction ) ? Ou à l'ordre de la suivante ? Impossible de le dire.

Tout le problème, pour le mouvement révolutionnaire, consiste donc en la définition et l'adoption d'une orientation de développement qui lui permette, qui l'assure d'être toujours plus à même d'exploiter la situation révolutionnaire à venir. Ce qui signifie pratiquement dès maintenant : accumuler des forces et former des cadres à partir de l'avant-garde ouvrière, répandre le plus largement et profondément possible les thèses révolutionnaires au sein des masses, aguerrir les structures du Parti en même temps que les enraciner solidement dans le prolétariat, mener la lutte idéologique et politique contre la bourgeoisie, les réformistes, les révisionnistes, etc., pratiquer l'internationalisme prolétarien ...

Pour nous, la dynamique de ce développement réside dans la stratégie de la guerre révolutionnaire prolongée. Non pas une guerre révolutionnaire prolongée qui s'étendrait de la naissance à l'aboutissement du processus révolutionnaire ( à travers un long cheminement progressif linéaire qui réaliserait graduellement l'inversion du rapport de force prolétariat / bourgeoisie ), mais la guerre révolutionnaire prolongée comme méthode nécessaire aux tâches et obligations du mouvement révolutionnaire dans la situation actuelle.

De par son caractère stratégique mixte, quantitatif et qualitatif, la guerre révolutionnaire prolongée est l'optique adéquate, « idéale », pour un processus d'accumulation de forces établi sur une période dont on ne peut prévoir la durée.

En résumé, la guerre révolutionnaire prolongée n'est pas une panacée stratégique porteuse en elle-même de toutes les questions et de toutes les réponses du mouvement révolutionnaire, mais elle est l'optique stratégique la mieux à même d'amener les forces révolutionnaires dans des conditions optimales à l'échéance historique de la situation révolutionnaire ( telle que décrite par Lénine ), c'est-à-dire au moment où les formes de lutte insurrectionnelle prennent le relais en raison de l'entrée en scène des masses sur le terrain révolutionnaire 6.

D'autre part, il est sans doute utile d'insister sur le fait que la conception d'une guerre révolutionnaire prolongée traversant de bout en bout le processus révolutionnaire ( donc en en façonnant globalement le cadre historique ) diffère dans la pratique de la conception de la guerre révolutionnaire prolongée destinée à passer le relais à l'insurrection lorsque le cadre historique l'impose.

Dans le premier cas, par exemple, la perspective apparaît plus ou moins linéaire : le processus révolutionnaire franchit des pas quantitatifs dont la longue accumulation finit par se traduire en potentialité qualitative ; ainsi, le Parti intègre, encadre et dirige des couches de plus en plus larges de la classe, jusqu'à ce qu'il soit en mesure de battre la bourgeoisie et de renverser son Etat en lançant brusquement toutes ses forces à l'assaut, au cours d'une opération qui peut aussi être appelée une « insurrection » 7.

Dans le second cas, au contraire, la conception stratégique intègre une rupture dans la continuité du développement progressif d'accumulation des forces. Ce qui entraîne de nombreuses incidences pratiques. Citons-en deux parmi bien d'autres.

Selon la première option ( guerre révolutionnaire prolongée suffisant à faire surgir toutes les conditions nécessaires à la révolution ), le Parti n'aurait besoin que de réserves tactiques, c'est-à-dire de réserves destinées à remplacer la part de ses forces vives détruite par l'ennemi tout au long de l'affrontement. Tandis que dans la seconde option ( guerre révolutionnaire prolongée conçue en fonction de l'échéance objective de la situation révolutionnaire, où elle s'efface au profit de la lutte insurrectionnelle ), le Parti a besoin, outre de réserves tactiques, d'importantes réserves stratégiques, c'est-à-dire de forces accumulées dans le but d'une exploitation rapide et massive des nouvelles perspectives offertes dès l'apparition d’une situation révolutionnaire.

Autre exemple d'incidence pratique : la question des cadres. Selon la première option, le Parti proportionnerait spontanément son encadrement aux forces qu'il dirige et à celles qu'il est en passe de diriger au fil de son développement progressif et linéaire. Tandis que dans la seconde option, le Parti doit construire un encadrement hypertrophié au regard de sa base effective ou potentielle à court terme, afin d'être parfaitement capable de répondre aux exigences de l'intégration du brusque et massif afflux de militants de base qui va de pair avec la situation révolutionnaire ( comme l'expérience déjà citée de la Révolution d'Octobre nous l'enseigne ).

Cette grande distinction faite entre deux conceptions stratégiques se revendiquant d'une même dénomination, « guerre révolutionnaire ( ou populaire ) prolongée », quel est le contenu programmatique de l'option que nous rallions ? Comment concevons-nous les étapes ( et leurs articulations ) de cette stratégie qui porte la responsabilité d'amener les forces du mouvement révolutionnaire dans des conditions optimales à la rencontre avec la situation révolutionnaire ? En schématisant à l'extrême, nous pouvons distinguer trois grandes phases.

La phase de la propagande armée. Il s'agit d'une phase à dimension politico-idéologique quasi exclusive, qui a pour but l'ancrage, au sein des avant-gardes ouvrières et des vrais communistes, de la reconnaissance de l'existence ( de la nécessité ! ), de la justesse et de la praticabilité ( y compris du point de vue militaire ) de la cause révolutionnaire. ( Précisons que cette phase est fort diversement engagée dans les pays d'Europe occidentale. En ce qui concerne la Belgique, l'analyse sereine impose de dire que cette première phase est loin d'être engagée ).

C'est à ce stade initial du processus révolutionnaire, au fur et à mesure de la conscientisation et du ralliement d'éléments prolétariens dévoués et combatifs, qu'émergent des forces structurées de plus en plus puissantes et aguerries, — et cela jusqu'à permettre / imposer la fondation de l'Organisation Communiste Combattante susceptible de centraliser, d'incarner et de guider la lutte révolutionnaire du prolétariat.

Les actions militaires menées au cours de cette étape stratégique ( exception faite des opérations logistiques, financières, etc. ) ont pour but non pas de mettre hors combat des forces ennemies, mais avant tout de servir de vecteur à la propagande révolutionnaire et à la dénonciation du réformisme et du révisionnisme. ( Cette propagande armée peut parfois exiger la mise hors d'état de nuire de forces ennemies, mais ce n'est alors là qu'un moyen d'atteindre un but politico-idéologique ).

La phase du harcèlement. Il s'agit d'une phase médiane, qui conserve plusieurs caractères de la phase de propagande armée tout en acquérant, au fur et à mesure de son propre déploiement, les caractères de la phase d'assiègement qu'elle précède, prépare et engendre. La phase du harcèlement voit se combiner les impératifs politiques généraux ( rallier de plus en plus larges couches de la classe à la cause révolutionnaire ) à des impératifs plus directement offensifs : assurer peu à peu au mouvement révolutionnaire une position stratégique gagnante dans la perspective de l'insurrection. A cette étape, si les cibles visées par les attaques de la guérilla doivent en priorité toujours être politiquement sensibles ( et correctement mesurées à la capacité d'élévation de la conscience politique des masses ), ces actions s'étendent et se multiplient au-delà de ce qui est nécessaire du strict point de vue propagandiste.

Au cours de cette phase, les points d'appui secondaires du pouvoir ennemi ( locaux et structures des partis bourgeois, installations policières et militaires périphériques, structures multiples de contrôle social, ramifications civiles du système d'exploitation et d'oppression, etc. ) font l'objet d'attaques planifiées incessantes. de telle sorte que la bourgeoisie se trouve placée devant une alternative très nette : soit fermer ces points d'appui et par-là s'isoler du corps social, soit les protéger / fortifier toujours plus et par-là s'isoler du corps social.

La phase de l'assiègement. Cette phase constitue en fait la maturité véritable de la stratégie de la guerre révolutionnaire prolongée. « [Le] harcèlement, la multiplication des actions, poussent l'Etat bourgeois à se mettre sur la défensive, il faut en arriver à ce qu'il y ait des sacs de sable devant chaque banque ; que chaque terrier du patronat, de l'armée, de la justice, des politiciens soit obligé de s'entourer de barbelés. La dialectique du mouvement révolutionnaire passe justement par cette réaction. Car actuellement la dictature bourgeoise s'étend sur l'ensemble du social et jusque dans les têtes ; si elle se trouve obligée de se reconcentrer défensivement, en se militarisant encore davantage, alors elle fait apparaître une nouvelle distance subjective entre elle et les masses populaires. Le sentiment de la légitimité de la dictature impérialiste commence à vaciller à partir du moment où les fonctionnements de domination se concentrent et apparaissent en tant que tels au lieu d'être dilués dans le tout social. (...) La militarisation de la lutte des classes, favorisée par la guérilla, entraîne un rétrécissement de la base d'appui de l'Etat impérialiste, donc une progressive déstabilisation institutionnelle jusqu'à ce que le capitalisme n'ait plus que la force armée pour seule garantie . » 8

C'est à partir de la phase d'assiègement que les forces révolutionnaires maîtrisent des conditions idéales pour exploiter la crise révolutionnaire — à son heure. En précipitant la déstabilisation des institutions capitalistes et de l'Etat bourgeois, la guérilla révolutionnaire contribue, à son échelle, au développement des facteurs objectifs de cette crise, tout comme elle remplit ses tâches essentielles dans l'accomplissement des facteurs subjectifs.

On remarque à cet égard combien, même à ce stade du processus révolutionnaire, la bataille politico-idéologique à partir et en direction des masses prolétariennes reste l'aspect central de l'activité des communistes. ( Ainsi se renforce l'exclusion sociale de l'ennemi : le bloc Etat / bourgeoisie est démasqué en tant que tel — c'est-à-dire précisément, aux yeux de tous, en tant que bloc étranger aux intérêts populaires ; ainsi se renforce la confiance des masses dans le Parti comme réelle et favorable alternative de pouvoir ). Au niveau organisationnel, la phase de l'assiègement correspond au rôle du Parti, tant il est vrai que cette phase n'est accessible que du fait d'un authentique et consistant engagement prolétarien dans la lutte révolutionnaire ( engagement couronnant le succès des phases antérieures et principalement du travail de propagande armée ).

Pour conclure ce bref exposé. nous ne dirons que quelques mots à propos de l'expérience désastreuse de la « conception kominternienne » de la préparation « pacifique » ( légale et « para-légale » ) à l'insurrection armée.

Les problèmes militaro-organisationnels liés à une telle conception ( difficulté de développer des forces expérimentées, des cadres aguerris, etc. ) ont déjà été mis en évidence. Ajoutons simplement ici que cet aspect négatif est encore bien plus présent aujourd'hui dans la mesure où le projet du Komintern à son époque avait au moins la logique de s'appuyer sur l'appareil du Komintern, c'est-à-dire entre autres choses sur les ressources fantastiques offertes, à tous niveaux, par le triomphe de la révolution soviétique ( structure organisationnelle internationale hiérarchisée et, de surcroît, invulnérable dans sa zone de sécurité, écoles de cadres, de techniciens, appui financier, logistique, etc. ).        .

Mais, en fait, c'est plus encore au niveau stratégique et politico-idéologique, que nous condamnons fermement cette conception « pacifique » ( légale et « para-légale » ).

Au niveau stratégique, qui pourrait oublier le terrible échec des forces communistes allemandes dans l'entre-deux-guerres ? La puissance de ces forces, tant en quantité qu'en qualité ( car elles bénéficiaient, en plus de la compétence des spécialistes du Komintern, de l'expérience de nombreux combattants trempés dans les luttes révolutionnaires des années 1918, 1919 et 1920 ), démontre amplement que les causes de la défaite ne relèvent pas d'une insuffisance concrète mais plutôt d'un égarement stratégique ( et, conséquemment, du dispositif allant de pair avec cette stratégie ). En adoptant la thèse de la préparation « pacifique » ( légale et « para-légale » ) à l'insurrection, les forces communistes abandonnèrent à l'ennemi l'initiative stratégique, et lui offrirent ainsi toutes latitudes pour devancer le coup de force révolutionnaire par un coup de force contre-révolutionnaire 9.

Dans le domaine politico-idéologique, l'option de la préparation « pacifique » ( légale et « para-légale » ) à l'insurrection s'est révélée la pire dérive contre-révolutionnaire, la complice de tous les réformismes, révisionnismes, opportunismes, etc. La clé de ce problème, c'est que tant le travail légal ou « paralégal » est déjà inapte à préparer subjectivement les masses à l'insurrection, plus encore il aliène rapidement et profondément les avant-gardes qui prétendent œuvrer pour cet objectif révolutionnaire. L'effondrement historique et politique achevé des partis communistes nés avec la IlIe Internationale est la démonstration coûteuse de l'impossibilité d'accumuler des forces et de dynamiser le mouvement pour l'objectif de l'insurrection de cette façon. L'alternative révolutionnaire, jusque dans sa dimension militaire de lutte pour le pouvoir, doit être objectivement présente au sein de la lutte des classes, présente de façon « palpable » pour les masses. Et cela est particulièrement vrai dans les pays à capitalisme avancé et régime démocratique bourgeois, telles les métropoles ouest-européennes où la lutte de classe, dans ses formes organisées, a depuis toujours été viciée par le réformisme, le révisionnisme, la social-démocratie, le pacifisme, le trade-unionisme, etc. L'expérience de ces vingt dernières années démontre, selon nous de façon éclatante, le rôle irremplaçable de la propagande armée à ce niveau.

3.       Une divergence avec les camarades espagnols

a ) La lutte armée selon les camarades espagnols

« On dit souvent que les actions de la guérilla contribuent à élever le niveau de conscience politique et l'organisation des masses ouvrières et populaires parce qu'elles démasquent la réaction et le révisionnisme. Mais on ne donne pas habituellement l'importance voulue du fait que cette conscience et cette organisation sont les objectifs prioritaires que se fixe la guérilla dirigée par le Parti Communiste. Il s'agit d'accumuler des forces révolutionnaires et de créer toutes les conditions qui permettent d'abattre l'Etat capitaliste. (...) Aujourd'hui, (...) l'objectif principal de la guérilla est de favoriser l'accumulation de forces pour tout le Mouvement Politique de Résistance, de contribuer à l 'organisation des ouvriers et des autres secteurs populaires, d'aiguiser la crise du régime, de se renforcer et de se développer ». 10

Si, dans cet extrait, les militants de la Commune Karl Marx accordent indiscutablement à la lutte armée une valeur et une fonction politiques dans le processus de formation et d'élévation de la conscience révolutionnaire, force est de constater leur tendance à circonscrire la lutte armée dans un cadre propre, naturellement militaire : renforcement et extension de la guérilla elle-même, contribution à l'organisation de classe, affaiblissement de l'ennemi, accumulation de forces, etc. Certes, tout cela est nécessaire et parfaitement correct, mais il nous semble malgré tout que dans l'esprit de cette réflexion, la qualité aujourd'hui centrale de la lutte armée dans les métropoles — à savoir sa fonction politico-idéologique — est toujours sous-estimée.

Cette sous-estimation de la fonction politico-idéologique de la lutte armée révolutionnaire, nous pensons la retrouver d'ailleurs sous d'autres aspects dans l'expression de la Commune Karl Marx. Ainsi, par exemple : « (...) le guérillero et la guérilla, de par leur nature essentiellement militaire, ne peuvent assumer ces tâches politiques et idéologiques au niveau exigé par l’ensemble du mouvement. » 11

Cette conception très militaire de la lutte armée est en fait logique ... dès le moment où l'on sépare, où l'on veut séparer la praxis armée des autres tâches révolutionnaires. Car l'argument du « caractère essentiellement militaire de la guérilla » ne peut être admis d'emblée comme argument fondant une séparation du politique et du militaire : parce qu'il n'est lui-même que le produit de cette séparation.

A l'extrême, affirmer que toutes les tâches politiques nécessaires sont hors de portée du guérillero ou de l'espace de la guérilla, du fait de la « nature essentiellement militaire » de ces derniers, peut être comparé à l'affirmation selon laquelle les militants attachés à la réalisation de l'organe du Parti ne peuvent participer à toutes les tâches politiques nécessaires vu la « nature essentiellement rédactionnelle » de leur activité ! Il est bien évident que le travail militaire a ses spécificités, ses limites et ses exigences propres, mais c'est là le lot de toute activité militante et il en va de même pour le travail d'agit-prop, le travail d'organisation-direction, le travail d'édition, etc.

Le militant œuvrant dans le cadre d'une structure militaire n'est affligé d'aucune tare qui, le différenciant des militants travaillant dans d'autres structures, l'éloignerait de la lutte politique. Le guérillero n'est éloigné de la lutte politique qu'à partir du moment où l'on consacre cet éloignement en cantonnant le travail militaire dans une aire particulière, un ghetto hors parti, en ne lui reconnaissant pour marge de .manœuvre que les questions concernant directement et spécifiquement la lutte armée. C'est dans ce cas, et dans ce cas seulement que la guérilla a une nature essentiellement militaire : parce qu'on veut qu'il en soit ainsi.

Mais si l'on n'admet pas ce postulat de la séparation entre le politique et le militaire — et pour notre part nous ne l'admettons pas — cette argumentation de base contenue dans « Parti et guérilla » perd objectivement toute assise.

b ) La nouvelle dimension politico-idéologique de la lutte armée

Pourquoi n'admettons-nous pas ce postulat de la séparation entre le travail politique et le travail militaire au point de vue organisationnel ? Parce qu'à aucun autre point de vue de l'activité communiste cette séparation n'a de sens : aujourd'hui, dans les pays à capitalisme avancé et régime démocratique bourgeois, telles les métropoles impérialistes, le politique et le militaire sont indissolublement liés. Les actions armées, dans leur immense majorité, poursuivent une finalité politique et /ou idéologique. C'est particulièrement vrai dans la phase de la propagande armée, mais cela le reste encore dans les phases suivantes ; et ainsi, comme nous l'avons vu, même la phase de l'assiègement est porteuse d'une finalité idéologique. Comme nous excluons toujours de notre analyse les actions logistiques, il n'y a en finalité d'intervention exclusivement militaire qu'au cours de la phase de l'insurrection et pendant la guerre civile. Et ce n'est qu'à ces occasions que peuvent et doivent se créer des structures révolutionnaires prioritairement et spécifiquement militaires : milices ouvrières, populaires, et, naturellement, l'Armée Rouge.

Le camarade Oriach écrit :

« La lutte armée devant être l'expression la plus élevée ( puisque la plus totalisante ) de la conscience de classe, mais le Parti étant à la fois le porteur et le produit de cette conscience ( comme en étant l'expression organisationnelle, alors que le concept de la lutte armée désigne la manifestation plus que le mode de collectivisation de la conscience ), la lutte armée apparaît alors suivant un développement qui tend à réaliser, après les avoir fait surgir, les fonctions inhérentes du Parti. » 12

Cette analyse représente bien notre propre conception de la lutte armée telle qu'elle doit être conçue dans les métropoles impérialistes, fiefs du réformisme et du trade-unionisme. La lutte armée est une tâche de Parti 13. Elle cristallise et véhicule l'expression la plus élevée de la conscience de classe, puisqu'elle traduit une rupture radicale, vivante et pratique d'avec le régime. Elle pose objectivement la question du pouvoir, elle consacre l'organisation autonome de la classe « pour soi », elle est l'idée révolutionnaire et, par reflet, le rejet du réformisme, des compromissions et de la capitulation.

On n'insistera jamais assez à ce propos : dans les conditions qui sont nôtres, la lutte armée est bien plus que la simple représentation, sur le champ de bataille, de la politique révolutionnaire : en fait, elle incarne la politique révolutionnaire elle-même en ce qu'elle en est la manifestation perceptible la plus authentique et immédiate, la plus totalisante. Là réside toute la dimension idéologique de la lutte armée révolutionnaire, et avec une telle intensité qu'il ne peut être question pour nous de l'éloigner du Parti en la confinant dans un cadre proprement militaire, comme une organisation spécifique de guérilla, par exemple.

Nous lisons dans « Parti et guérilla » :

« Mais il ne faut pas perdre de vue que la guerre de guérilla dans les pays capitalistes, parce qu'elle est la continuation de la politique prolétarienne par d'autres moyens ( les moyens violents ), doit être dirigée à tout moment par la politique, par le Parti » 14.

La paraphrase de Clausewitz nous semble être en dessous de la réalité : la lutte armée pour le communisme ne peut plus être réduite ici au rôle de « continuation » de la politique prolétarienne ( une telle vision conduit tôt ou tard à la conception du « bras armé » dont le caractère erroné, le plus souvent radical-réformiste, n'est plus à démontrer ). Ici, la lutte armée pour le communisme est, primo, la praxis centrale de la politique prolétarienne, et, secundo, son expression objective, concrète, matérielle, directement perceptible et appropriable. C'est dans cette mesure qu'elle relève entièrement du Parti 15.

Revenons-en au document du camarade Oriach :

« Nous insistons sur le fait que la lutte armée n'est pas seulement qu'une forme de lutte parmi d'autres, un adjuvant particulier des luttes de masse. La lutte armée ne peut être dite communiste révolutionnaire que si elle se situe dans la continuité historique du mouvement communiste mondial. Elle doit se faire l'expression concrète du processus d'émergence politique de d'avant-garde organisée du prolétariat, avant-garde qui est le lieu où se catalyse la conscience de classe du prolétariat, ce qui est la fonction historique du Parti et place, par conséquent, la lutte armée comme partie intégrante et indissociable du processus de construction du Parti. » 16

c ) Les nouveaux rapports entre Parti et lutte armée

Cette qualité nouvelle dont est porteuse la lutte armée révolutionnaire, qualité politico-idéologique qui n'était pas sienne lorsque le mouvement communiste international s'en tenait à la thèse de la préparation « pacifique » ( légale et « para-légale » ) à l'insurrection violente et armée, est à ce point présente et évidente que sa négation, où ne fût-ce même que sa mise en doute est une source de contradiction infinie. Ainsi, dans « Parti et guérilla », on lit :

« Aujourd'hui comme hier, le mot d'ordre selon lequel c'est le Parti qui commande au fusil reste valable. Et, comme la lutte armée joue ici un rôle décisif dans les pays capitalistes modernes, il est nécessaire que le Parti Communiste prenne fermement le contrôle de la direction politique et, conséquent, dans une certaine mesure, DE LA DIRECTION MILITAIRE du mouvement de guérilla » 17.

D'un côté, les camarades de Soria insistent sur l'idée d'une nécessaire séparation organisationnelle entre Parti et lutte armée, c'est-à-dire entre l'espace politico-organisationnel central du mouvement révolutionnaire et la pratique centrale du mouvement révolutionnaire. Cependant, d'un autre côté, ils se retrouvent obligés d'insister tant et plus quant au « contrôle ferme » du Parti sur la lutte armée, jusqu'à reconnaître qu'il ne s'agit pas seulement de la direction politique du Parti sur la lutte armée ( elle va de soi ), mais également, « dans une certaine mesure », de la direction militaire !

Ainsi, après avoir fait sortir par la porte l'unité nouvelle du politique et du militaire dans le processus révolutionnaire au sein des métropoles, les militants espagnols doivent la faire rentrer par la fenêtre — tant cette unité nouvelle est incontournable.

Dès le moment où la lutte armée est menée par les groupes ad hoc du Parti ( et le Parti devient de fait « Parti combattant » ), dès le moment où le Parti applique lui-même l'entièreté de sa ligne politique et stratégique ( et en récolte directement les fruits ), il devient inutile d'insister sur la « nécessité » d'un contrôle « ferme » et d'une direction « dans une certaine mesure militaire » du Parti sur la guérilla. La guérilla perd toute indépendance et devient simple fraction / fonction ( quoique fraction / fonction stratégique centrale ) du travail global du Parti. Le Parti mène alors la lutte armée via ses groupes de combat comme il mène l'agit-prop via ses groupes de propagande, il assume la direction et l'encadrement via la hiérarchie, il structure son influence et son écoute populaire via ses relais aux masses, etc.

Pour conclure ce chapitre, nous voulons rappeler combien l'intégration du travail militaire parmi les tâches du Parti n'est en aucune façon une idée inédite ou originale dans l'histoire du mouvement communiste international. Il nous suffira d'examiner deux exemples pour en être convaincus.

d ) Deux exemples historiques d'importance

A tout seigneur tout honneur, commençons par l'exemple des révolutionnaires russes qui furent confrontés à cette question des rapports entre Parti et lutte armée, notamment après la révolution de 1905. Nous citons ici les célèbres propositions de Lénine au Congrès d'unification du POSDR en 1906.

« 1. le Parti doit reconnaître que les actions armées des groupes de combat appartenant au Parti ou luttant à ses côtés sont admissibles sur le plan des principes et opportunes dans la période actuelle ;

2. le caractère des actions armées doit être adapté à la tâche qui consiste à former les dirigeants des masses ouvrières en période d'insurrection et à acquérir l'expérience des actions offensives soudaines ;

3. le but immédiat le plus important de ces actions doit être la destruction des appareils gouvernemental, policier et militaire et une lutte impitoyable contre les organisations cent-noirs actives qui pratiquent la violence et la terreur contre la population ;

4. il faut admettre aussi les actions armées destinées à s'emparer de moyens financiers appartenant à l'ennemi, c'est-à-dire au gouvernement autocratique, et à détourner ces moyens au profit de l'insurrection ; ce faisant, il importe de veiller sérieusement à ce que les intérêts de la population soient le moins possible lésés ;

5. les actions armées de partisans doivent s'effectuer sous le contrôle du Parti et de telle sorte que les forces du prolétariat ne soient pas gaspillées en vain, et qu'en même temps on prenne en considération les conditions du mouvement ouvrier dans la localité donnée et l'état d'esprit des larges masses. » 18

Ces thèses de Lénine et la pratique effective de ces groupes de combat relèvent certes d'une situation et d'un projet stratégique différents des nôtres. Dans cette mesure, les indications que nous pouvons en tirer doivent être précisément estimées. C'est dans tel esprit que nous soulignons simplement le fait que le mouvement communiste international ( et pas le moindre de ses représentants ! ) a déjà été confronté à la question de savoir s'il fallait intégrer la lutte armée aux tâches du Parti, qu'il y a répondu par l'affirmative ... et qu'il a eu raison de le faire.

On peut donc dire que dans la foulée de la révolution de 1905, et encouragé dans cette direction par Lénine, le Parti a mené la lutte armée au travers de ses groupes de combat de la même façon qu'il assumait ses autres tâches à travers ses autres organismes et ramifications. Bien sûr, le rôle dévolu à la guerre de partisans par les bolcheviks était moindre que celui dont nous chargeons la lutte armée dans les conditions actuelles de l'Europe occidentale ( pour les bolcheviks, la lutte armée a un rôle prioritairement utilitaire, et ensuite seulement une qualité politico-idéologique ), mais cela, au contraire de déforcer l'indication fournie par la position du parti de Lénine, a plutôt tendance à la renforcer. En effet, plus la lutte armée sort de l'espace réduit de l'utilitaire et du logistique pour acquérir une qualité politico-idéologique, plus se renforce la raison, l'obligation de l’intégrer complètement aux tâches du Parti.

La conception de Lénine dont il vient d'être question était tout entière tournée vers l'insurrection. Il en est de même pour notre second exemple, à savoir l'organisation politico-militaire du KPD dans l'entre deux guerres.

Parmi les organisations composant le « Front rouge », on compta trois organisations spécifiquement militaires : l'Union des Combattants du Front rouge ( « Roterfrontkämpfer Verband » ) qui fournissait des cadres à l'ensemble des formations militaires du Parti, et qui, dissoute en mai 1929, se transforma en Ligue de combat antifasciste ( « Antifa » ) ; l'Autoprotection des masses rouges, et les Comités de combat.

L'Union des Combattants du Front rouge comprend une Direction centrale, des Directions régionales et une dizaine de Directions locales. Chaque Direction locale se compose de quatre divisions et de plusieurs « groupes de fabrique » ( cellules d'entreprise ). La plus petite formation de combat est le « groupe », qui se compose de huit hommes. Quatre groupes forment une section ( Abteilung ) et trois sections, une Camaraderie ( Kameradschatt ). Les formations d'Autoprotection des masses rouges sont divisées en groupes de cinq, en section et en Camaraderie, réparties en groupes de maison, de rue et de quartier. Les Comités de combat ont pour mission de recruter et d'instruire des groupes de partisans comprenant de 10 à 200 hommes chargés des besognes particulièrement difficiles ( destruction à la dynamite des ponts et des voies ferrées, attentats contre les chefs des formations ennemies, sabotages des gares, des centres télégraphiques et téléphoniques, etc. ). Ligue antifasciste, Autoprotection des masses rouges et Comités de combat s'emboîtent les uns dans les autres et forment un réseau serré et occulte qui couvre toute l'Allemagne.

Il est cependant très difficile d'en évaluer les effectifs car, jusqu'à la fin, ces groupements resteront soigneusement camouflés. Seuls quelques chiffres isolés permettent de se faire une idée de leur force. Au moment de son interdiction, l'Union des Combattants du Front rouge comptait 19, d'après Neuberg, 100.000 hommes répartis en 545 groupes, la Ligue Antifa environ 250.000. En septembre 1932, il y avait à Essen 1.290 membres de la Ligue antifasciste et 183 membres de l'Autoprotection ; à Duisbourg, 1.622 membres de la Ligue Antifasciste et 1.132 membres de l'Autoprotection. Vers la même époque, 500 échelons de l'Autoprotection étaient constitués à Berlin, 50 à Stuttgart, 260 à Altona, comprenant environ 13.000 membres. En février 1933 on comptait à Hambourg 150 groupes de maisons comprenant 5.500 hommes, dont 2.500 étaient constamment en état d'alerte.

Voilà donc un second exemple historique ( qui s'est terminé dramatiquement pour les raisons que l'on sait ) où le Parti a intégré les tâches militaires dans ses tâches générales. Certes, dans ce cas particulier, tout l'appareil militaire n'est pas formellement intégré en tant que tel au Parti en tant que tel. Ainsi, l'Union des Combattants du Front rouge figure parmi les organisations de base au même titre que l'Union de.la jeunesse communiste. Ainsi, l'Autoprotection des masses rouges figure parmi les organisations du front unitaire au même titre que l'Opposition syndicale révolutionnaire ou le Secours rouge d'Allemagne. Les Comités de combat forment une organisation de choc ; ce sont eux qui correspondent le mieux à ce que doivent être les cellules combattantes du « Parti communiste combattant » moderne, à l'inverse de la structure de la Ligue Antifa qui était déterminée par la perspective purement insurrectionnelle.

Sans doute avons-nous été fort longs dans cette évocation de l'expérience du KPD, mais cela nous a semblé nécessaire pour souligner combien cet immense dispositif fut édifié sans que se pose le problème de la « militarisation » du Parti, problème dont les camarades de Soria font grand cas, et que nous allons examiner maintenant.

e ) Le danger de « militarisation » du Parti selon les camarades de la Commune Karl Marx

On lit dans « Parti et guérilla » :

« La conception d'un Parti-guérilla, ou encore la militarisation totale du Parti, ne correspondent ni à la situation de la lutte des classes de nos pays ni par conséquent aux tâches qui se posent au prolétariat révolutionnaire.

En premier lieu, parce que l'idée du Parti-guérilla, ou une autre idée semblable, dissimule le projet d'une organisation exclusivement militaire, c'est-à-dire l'armée comme unique forme d'organisation du prolétariat révolutionnaire moderne. Ce qui aurait pour conséquence de concevoir l'encadrement militaire comme seule forme d'encadrement dans la période actuelle, de même que les tâches seraient principalement militaires, les organismes, les fonctions et les rapports seraient militaires et les objectifs, fondamentalement militaires. (…)

Les communistes doivent toujours veiller à diriger toutes les formes de lutte du prolétariat aussi diversifiées soient-elles, ce qui n'est possible qu'à partir de l'organisation de parti.

En second lieu — poursuivent plus loin les camarades de Soria — l'idée du Parti-guérilla est erronée parce que le Mouvement Politique de Résistance a, en plus des tâches militaires, de multiples autres tâches qui ne peuvent en aucune manière entrer dans le cadre rigide d'un Parti militarisé. Les luttes des larges masses des ouvriers et des travailleurs nécessitent la direction politique du Parti Communiste. Celui-ci donne une direction à leur ardeur et à leur détermination révolutionnaire, en synthétisant les expériences des luttes et en les généralisant. En outre, il forme les cadres dont aura besoin tout le Mouvement, en tendant ses filets organiques parmi les différentes organisations sur la base des principes idéologiques et politiques minimaux. Il diffuse et fait la propagande de la ligne politique qu'il défend, il avertit les ouvriers des manœuvres de la bourgeoisie, menant à bien une lutte puissante et résolue contre l'idéologie bourgeoise ; et, dans ce sens, il démasque sans leur laisser de répit les proclamations, consignes et tactiques de diversion du révisionnisme moderne.

Ces tâches indispensables au mouvement révolutionnaire des pays capitalistes, ledit Parti-guérilla ne peut les réaliser, bien qu'il se le propose, puisqu'elles sortent de sa sphère d'intervention, de sa capacité politique et de ses possibilités organisationnelles. Rappelons-nous que les formes d'organisation s'adaptent toujours aux formes de lutte. » 20

f ) Notre point de vue sur le danger de « militarisation » du Parti

Pour commencer, il faut se pencher sur la question / définition du Parti-guérilla, car c'est contre lui et ses semblables que paraît se diriger ouvertement la critique des militants de Soria.

Si, dans les extraits que nous venons de citer, les camarades espagnols entendent condamner la thèse du « Parti-guérilla » ( ou des autres types d'organisation se revendiquant peu ou prou d'une politique de « guerre sociale totale » telle que prétendue par une partie du mouvement révolutionnaire italien — il y a quelque temps déjà ), nous les suivons volontiers dans cette voie.

Dans ce cas précis, en effet, il y a réduction de la totalité de l'activité des communistes à la seule pratique militaire, et réduction d'autant plus nocive et critiquable que cette pratique militaire est menée en fonction d'objectifs prioritairement militaires ( alors que, comme nous l'avons vu en abordant la question de la propagande armée, le travail militaire doit, certainement jusqu'à la période insurrectionnelle, poursuivre des objectifs en premier lieu politico-idéologiques ). Dans ce cas donc, nous avons effectivement affaire à une déviation ultra-militariste, au niveau du contenant et du contenu, déviation qui mérite toutes les foudres de la critique ... et qui, par ailleurs, a fait faillite sur le terrain il y a quelques années.

Mais cela clarifié, nous refusons l'alternative étroite et restrictive dans laquelle les camarades espagnols semblent vouloir circonscrire le problème de l'organisation des relations entre Parti et lutte armée. A les lire, le problème se résume ainsi : soit Parti-guérilla, soit dispositif bicéphale Parti & organisation de guérilla. Ou encore : soit subordination ( quand pas abandon ) du politique au militaire, militarisme —, soit séparation organisationnelle du politique et du militaire.

Cette manière de résumer est trop sommaire ; pour nous, l'éventail des possibilités ne s'arrête pas là. Il existe une autre façon d'assurer la subordination du militaire au politique que celle de refouler le travail militaire dans le domaine d'une organisation autonome. En défendant le principe d'un « Parti combattant », nous défendons l'idée de l'insertion du travail militaire ( en réalité : politico-militaire, c'est-à-dire militaire au niveau des moyens mais politique au niveau des objectifs ) parmi les tâches du Parti tel que le concevait Lénine.

Le fait que nous considérons la lutte armée ( à finalité politique ) comme forme de lutte centrale pour le mouvement révolutionnaire — et donc pour son Parti —, ne signifie aucunement que nous la considérons comme unique forme de lutte valable. Et nous rejoignons donc les camarades espagnols lorsqu'ils énumèrent les responsabilités que le Parti doit honorer ( direction du mouvement de masse, synthèse des expériences, formation des cadres, agit-prop, lutte idéologique, etc. ) ; pour nous aussi ces tâches sont indispensables. Mais nous voulons souligner deux éléments importants.

Premièrement, nous rejetons l'idée qu'il suffit que le Parti intègre la lutte armée parmi toutes ses tâches pour qu'il devienne un parti « militarisé » ; le risque existe, c'est indiscutable ( et l'expérience du Parti-guérilla italien l'a démontré ), mais il n'y a là ni automatisme ni fatalité. Si le seul fait d'intégrer la lutte armée parmi les tâches de Parti suffisait à « militariser » celui-ci, il faudrait en conclure que le POSDR, en 1906, devenait un parti « militarisé », au « cadre rigide », inapte à l'accomplissement des tâches comme la direction politique du mouvement de masse, la synthèse des expériences, la formation des cadres, etc. Or, nous savons qu'il n'en fut rien.

Nous reconnaissons que le risque existe bel et bien, et qu'il exige la vigilance la plus grande de la part du Parti. L'estimation de ce risque est d'ailleurs complexe car, d'un côté, la lutte armée joue un rôle beaucoup plus important ici, dans les conditions, qu'elle en avait dans la stratégie des communistes de Russie, ( ce qui aurait tendance à augmenter le danger de dérive militariste ), mais, d'un autre côté, la lutte armée revêt pour nous aujourd'hui une dimension politique et idéologique beaucoup plus importante que dans la Russie de 1906, ( ce qui aurait tendance à diminuer les risques de dérive militariste ) ...  Donc, finalement, rien d'insurmontable si on ne relâche pas l'attachement ferme et rigoureux aux principes et enseignements du Marxisme-Léninisme.

Secondement, nous insistons encore une fois sur l'idée que la guérilla ( et plus spécifiquement la propagande armée ) intervient, directement ou indirectement, dans l'accomplissement des tâches indispensables et non militaires énumérées par les camarades de Soria. C'est essentiellement cette dimension des choses qui, selon nous, plaide de façon définitive en faveur de l'intégration de la lutte armée parmi les tâches du Parti. Nous connaissons le rôle de la lutte armée dans le travail d'agit-prop et dans la lutte idéologique ( par le contenu politique des actions de propagande armée, parce qu'elles servent de vecteur au discours révolutionnaire, par le fait que l'exercice de la violence révolutionnaire marque la présence — comme force réelle — de la politique communiste sur le terrain de la lutte des classes, etc. ) ; mais ce rôle s'étend aussi, — bien que de façon moins évidente —, aux autres tâches que se doit d'assumer le Parti.

En général, nous pouvons dire qu'apportant une dimension pratique offensive, directement agissante sur la réalité politique du pays, la lutte armée donne du poids au Parti qui la mène et de la crédibilité à son programme ( en tant que première mise en œuvre ouverte, totalisante, du processus vers la prise du pouvoir, la lutte armée — aussi faible soit-elle — libère dans l'esprit des masses la vitalité du projet révolutionnaire jusque là confiné à tant de déclarations d'intention ... sur papier. )

De cette manière, la lutte armée révolutionnaire assied et renforce la position du Parti dans la classe et lui donne une dimension inaccessible par d'autres moyens dans les conditions historiques que nous connaissons ; cette assise et cette dimension dues à la pratique de la lutte armée permettent au Parti d'accomplir ( mieux ) toutes ses tâches, et même celles qui se situent sur le terrain exclusivement politique.

Donc, à notre avis, tant la lutte armée relève directement des tâches du Parti, tant cette position exige l'appoint d'une rigoureuse mise en garde contre le risque bien réel de déviation militariste. Mais, prétendre résoudre d'office cette question par la séparation du Parti et de la guérilla ( au niveau organisationnel, mais, en conséquence, aussi dans l'esprit des masses ) est une grave erreur dans la mesure où cela réduit fortement la capacité du Parti de valoriser, aux niveaux politique, idéologique, organisationnel, etc., la lutte de guérilla. Sans oublier que, en finalité, de surcroît seul le Parti est à même de mener à bien cette valorisation ...  La séparation de la lutte de guérilla et du Parti, au nom du risque de « militarisation », cela revient à l'amputation d'un membre sain, objectivement vital, sous le prétexte d'un risque d'accident à son encontre. Coupons-nous le bras afin d'être assurés qu'on ne nous arrache pas la main.

Nous serions incomplets si nous n'abordions pas brièvement, pour conclure à son propos, le problème par son revers. C'est qu'il nous semble qu'une organisation de guérilla autonome, possédant sa propre identité militaire, est tout compte fait un terrain bien plus propice à l'émergence d'une dérive militariste qu'un réseau de groupes de combat organiquement subordonnés aux instances politiques du Parti. La séparation du travail militaire et du Parti n'est pas une solution contre le danger militariste. Certes, elle place dans un premier temps ( mais avec les conséquences néfastes plus larges que nous avons évoquées ) le Parti à l'abri de ce danger, mais dans un second, elle y expose de façon bien plus grande tout le mouvement révolutionnaire. Pour notre part, nous affirmons que plus réduite est la marge d'autonomie des forces combattantes, plus réduit est le danger de voir apparaître une surévaluation du travail militaire par rapport au travail politique. Donc, à notre avis, de ce point de vue particulier égaIement, la thèse d'un Parti allant de pair avec une organisation autonome de guérilla cède le pas à la thèse du « Parti combattant ».

g ) Notre opinion sur le risque de criminalisation du Parti

On objecte le plus souvent à la thèse du « Parti combattant » que le caractère armé —nécessairement illégal — d'une partie de son appareil ne peut qu'entraîner une criminalisation immédiate de l'ensemble du Parti. Par-là, un militant œuvrant dans le cadre d'un Parti communiste ne pratiquant pas la lutte armée serait moins exposé qu'un autre militant œuvrant dans le cadre d'un Parti communiste pratiquant la lutte armée, ( l'exemple n'ayant bien sûr d'intérêt qu'à partir du moment où il est convenu que le second militant cité n'assume qu'une activité non armée au sein du Parti ).

L'argument développé à ce propos est le suivant : contre le militant œuvrant dans le cadre d'un Parti combattant, et même si son activité se limite aux tâches politiques, la bourgeoisie peut immédiatement et systématiquement déployer tout son arsenal juridico-répressif contre-révolutionnaire. Du seul fait de son appartenance — quelle qu'elle soit — au Parti combattant, tout militant peut se retrouver inculpé de participation à « bande armée », « organisation terroriste », « association de malfaiteurs », etc., selon les formules scélérates des divers jargons judiciaires ayant cours dans les démocraties bourgeoises de l'Europe occidentale.

Il s'agit donc ici d'un problème « pratique », tactique, que l'on peut récapituler par cette formule : la séparation organisationnelle de la guérilla et du Parti postpose, dans certaines conditions, la criminalisation du Parti par l'appareil répressif bourgeois. L'objection s'appuyant sur ce fait a donc son poids, et elle mérite d'être examinée attentivement.

Dans la formule que nous avons employée, un mot est important : « postposer ». En effet, tant la théorie marxiste ( qui nous enseigne par la voix de Liebknecht « [qu'] à dater du moment où le prolétariat commence à agir en tant que classe indépendante, se séparant de la bourgeoisie et hostile à elle comme l'exigent ses intérêts, la bourgeoisie cesse d'être démocrate » ) que l'expérience historique ( jusqu'à celle toute récente de l'Espagne, l'Italie, la Turquie, ou la République Fédérale ) nous indiquent clairement que les conditions de lutte qui permettent une activité d'agit-prop révolutionnaire publique et légale ne peuvent qu'être conjoncturelles. Au développement du processus révolutionnaire correspond incontournablement une radicalisation de la répression réactionnaire.

Autrement dit, tôt ou tard — mais inexorablement — le mouvement révolutionnaire se retrouve dans une situation où même la plus simple activité de propagande pacifique ( voire une activité syndicale élémentaire : grève, manifestation revendicative, etc. ) est férocement réprimée. Dans l'exacte compréhension de ce rapport, le respect de l’impératif stratégique qui veut que l'on anticipe toujours les mouvements de l'ennemi ( respect dont dépend non seulement le succès mais avant tout l'autodéfense du mouvement révolutionnaire ) impose une règle : nous devons dès l'abord structurer nos forces non pas dans une configuration adaptée au degré passé ou éphémère de la répression ( degré criminalisant la lutte armée mais tolérant / espionnant la lutte politique publique ), mais bien dans une configuration adaptée au prochain degré à venir de la répression ( degré criminalisant toute l'activité communiste révolutionnaire, quelle qu'en soit la forme ).

En reprenant l'exemple concret par lequel nous avons ouvert ce chapitre, nous pouvons donc préciser maintenant que la différence de situation entre un camarade œuvrant au sein d'un Parti indépendant de l'organisation de guérilla, et un autre camarade œuvrant à la même place au sein d'un « Parti combattant » est donc provisoire. Face à la répression, le premier jouit d'un éphémère sursis et le second non. L'objection de la criminalisation du Parti doit ainsi être relativisée : elle ne concerne que les toutes premières phases du processus révolutionnaire, lorsque la bourgeoisie ( qui a fait sienne la maxime de Montesquieu : « La crainte est un ressort qu'il faut ménager ; il ne faut jamais faire de loi sévère lorsqu'une plus douce suffit » ) pense pouvoir encore récupérer ou liquider celui-ci de façon sélective et sans déroger ouvertement à son très confortable assommoir démocratique 21.

En effet, dès le moment où la lutte de classe s'intensifie, se radicalise, dès le moment où le régime bourgeois se voit contraint de jeter bas son masque démocratique et d'user de tous les moyens jusqu'aux plus extrêmes pour combattre le mouvement révolutionnaire, la séparation organisationnelle entre la guérilla et le Parti ne suffit en aucune façon à mettre les militants et l'activité politique du Parti à l'abri de la fureur contre-révolutionnaire.

Les exemples ne manquent pas pour rappeler combien de fois le mouvement communiste international a déjà du affronter des états de siège, des dictatures militaro-fascistes, etc., des situations dans lesquelles jusqu'aux plus timides sympathisants repérés des communistes sont massacrés, où la plus infime velléité syndicale est passible de la cour martiale.

C'est tout le problème de la dialectique révolution / contre-révolution. Marx écrivait — la formule est célèbre :

« Le progrès révolutionnaire se fait par la création d'une contre-révolution puissante et unifiée, par la création d'un ennemi qui amènera le parti de l'insurrection à atteindre par la lutte la maturité qui fera de lui le véritable parti révolutionnaire. »

C'est bien de cela qu'il s'agit ici. La symbiose des tâches militaires et des tâches politiques sous le seul drapeau du Parti recèle plusieurs avantages stratégiques capitaux pour la lutte révolutionnaire, et quelques inconvénients tactiques — dont une répression plus farouche aux tout premiers stades de la confrontation.

Il nous semble donc particulièrement erroné de défendre la séparation organisationnelle du politique et du militaire sous le prétexte que cette séparation permet au Parti, durant une brève période, de retarder quelque peu l'échéance de l'attaque ennemie ouverte. Dans la mesure où cette séparation déforce plus qu'autre chose le processus et les forces révolutionnaires, nous pensons qu'elle relève à ce niveau d'un mauvais calcul, du type de ceux qui font le lit de l'opportunisme.

Il faut donc appliquer une juste mesure, une approche correcte de la question, sans concession à l'aventurisme ( exposer les forces révolutionnaires à un affrontement auquel elles ne sont pas préparées ) ni à l'opportunisme ( éviter les dangers de l'affrontement en sacrifiant ce qui est nécessaire au progrès révolutionnaire ... et qui mène à l'affrontement ). Nous devons fermement garder à l'esprit le principe de notre lutte : nous cherchons l'affrontement avec la contre-révolution, pour nous y aguerrir et renforcer, pour finalement en sortir victorieux. Et dans cette perspective, la criminalisation du Parti — réponse inévitable de l'ennemi à sa maturité — ne peut en aucune façon être considérée comme un obstacle véritable, au contraire ! Ce qui nous amène à poser la question de la clandestinité.

h ) De la clandestinité

Nous lisons dans « Parti et guérilla » :

« (...) cette accumulation [de forces révolutionnaires] pour être réelle, ne peut se faire que dans la clandestinité et en s'appuyant sur la situation favorable que crée la lutte armée. Dans les conditions actuelles, alors que les formes légales et semi-légales de lutte ont cessé d'être déterminantes pour le développement du mouvement révolutionnaire, le principe léniniste selon lequel on doit utiliser la légalité, la semi-Iégalité, la semi-clandestinité pour favoriser le renforcement et le développement de l'appareil clandestin du Parti, de l’organisation des révolutionnaires professionnels, reste valable. » 22

Nous partageons cette analyse : le centre de gravité du mouvement révolutionnaire, donc la place du Parti, se situe dans la clandestinité. Notre organisation a précisé sa conception à ce sujet en parlant de « clandestinité de masse au sein des masses » : « il s'agit de la clandestinisation de l'activité révolutionnaire et non des militants révolutionnaires. Les militants doivent rester au sein du monde du travail, de l'univers social du prolétariat, mais doivent couvrir — avec anticipation — leurs activités militantes au sein de l'Organisation d'une discrétion imposée par le degré de répression que la bourgeoisie engage contre le degré de développement révolutionnaire. » 23

C'est en appliquant ce principe chaque fois que possible, que le mouvement communiste international a pu triompher de vagues de répression féroces ; ainsi, par exemple, dans notre pays aux pires heures de l'occupation nazie, le nombre de partisans clandestins « complets » ( vivant sous une fausse identité, etc. ), bien qu'important dans l'absolu, était relativement faible par rapport à l'ensemble des effectifs du Parti.

Nous sommes donc d'accord avec les camarades de Soria pour dire que le Parti doit être clandestin, qu'il doit mener toute son activité — et même l'agit-prop — depuis la clandestinité, que ses membres et structures doivent rester inconnus de l'ennemi ( protégés par le cloisonnement et le secret ), etc. Cependant, nous sommes également d'accord avec la règle selon laquelle il ne faut négliger aucune forme de lutte possible, mais au contraire exploiter et combiner l'entière diversité des méthodes à notre disposition. Cela impose alors de définir les rapports entre le Parti clandestin et les formes d'agit-prop légales, ouvertement publiques, qui restent accessibles ( plus ou moins, selon les législations particulières des Etats ) aujourd'hui en Europe de l'Ouest. Nous nous pencherons sur cette question au chapitre suivant.

Mais pour l'instant, revenons-en au sujet précis du rapport entre Parti ( clandestin ) et lutte armée. Nous avons vu que un des arguments avancés par les militants de Soria contre l'intégration de la lutte armée parmi les tâches du Parti, tient en ce que cette intégration empêcherait le Parti d'assumer toutes ses autres tâches en raison de sa « militarisation ».

Cette objection nous paraîtrait plus appropriée si elle s'appuyait sur l'idée d'un Parti non clandestin. En effet, dans ce cas on peut dire qu'il existe une grande différence structurelle entre un Parti légal ( particulièrement avantagé pour mener un travail ouvert d'agit-prop, un travail syndical, un travail d'organisation de masse, etc. ) et un « Parti combattant » qui, justement en raison de sa pratique armée, ne peut qu'être clandestin, avec les difficultés ( surmontables mais bien réelles ) que ce caractère suppose pour le travail ouvert d'agit-prop, pour le travail syndical, pour le travail d'organisation de masse, etc.

Mais les camarades espagnols défendent eux aussi, avec raison et en vrais communistes, la nécessité du Parti clandestin. Et leur juste position à ce propos est la meilleure réfutation de la critique selon laquelle l'intégration de la lutte armée parmi les tâches du Parti déforcerait sa capacité à exploiter l'ensemble des axes et méthodes de lutte praticables.

Parce que, au bout du compte, la lutte armée n'impose pas d'autres contingences organisationnelles / structurelles au Parti que celles de la clandestinité : cloisonnement et secret. La seule différence entre un Parti clandestin non combattant et un Parti clandestin combattant réside dans le fait que, pour ce dernier, une infraction aux règles de sécurité se paye immédiatement.

Répétons-le, dès le moment où l'on admet le caractère clandestin du Parti, l'intégration de la lutte armée parmi l'éventail de ses tâches n'entraîne aucun problème organisationnel / structurel nouveau, spécifique. La question générale qui se pose à cet égard est celle du rapport entre Parti clandestin et capacité d'exploitation des formes ouvertes d'agit-prop.

j ) Illégalité et légalité

Un Parti clandestin, même " combattant ", peut et doit mener des interventions ouvertes d'agit-prop, tout en respectant les règles de sécurité. On peut penser, par exemple, à des distributions de tracts, des collages d'affiches, des prises de parole lors de concentrations prolétariennes, etc., bien entendu inopinés et même protégés militairement. Ce genre d'interventions reste très précieux malgré, ou plutôt en complément de l'importance nouvelle de la propagande armée, pour le mouvement révolutionnaire.

Mais il est indéniable qu'à partir du moment où le Parti, c'est-à-dire toute son activité et tous ses militants, est d'office criminalisé, le poids des mesures de sécurité réduit les possibilités d'exploitation du travail ouvert d'agit-prop.

Cette restriction forcée dès l'abord plaide donc contre la thèse du " Parti combattant ", car s'il est inévitable que tout Parti communiste digne de son nom soit tôt ou tard criminalisé (en raison des bienfaits de son travail dans la lutte des classes, du progrès révolutionnaire qu'il orchestre, etc.), le Parti communiste fondé " combattant " présente l'inconvénient d'être criminalisé dès sa constitution.

Récapitulons les données de ce problème tactique. Soit le Parti intègre la lutte armée parmi ses formes de lutte et, de fait, le travail ouvert d'agit-prop lui est, sinon interdit, du moins très limité par les contingences propres à la sécurité. Soit le Parti renonce à l'intégration de la lutte armée parmi ses propres formes de lutte et, de fait, pendant une période donnée ( tant que l'affrontement révolution / contre-révolution ne dépasse pas le seuil au-delà duquel la bourgeoisie renonce aux méthodes démocratiques de sa domination au profit des méthodes les plus brutales, massacres, tortures, disparitions, etc. ), le Parti peut mener un travail ouvert d'agit-prop.

Comment aborder ce dilemme ? Selon nous, de toute manière, en donnant la priorité à l'intérêt politique et stratégique — même s'il est astreignant — et non à l'avantage tactique, quelle qu'en soit la taille. Notre point de vue est donc que ce dilemme n'existe pas fondamentalement. Mais comme il apparaît dans les faits, pour être complets nous voulons dire quelques mots de la solution pratique à laquelle nous nous rallions.

Les militants de Soria avancent le triptyque suivant: Parti non combattant et latitude d'exploitation de l'agit-prop ouverte, plus organisation de la guérilla.

Nous, nous en proposons un autre qui nous semble plus pertinent : Parti combattant et exploitation restreinte de l'agit-prop ouverte, plus direction politique informelle de groupes d'agit-prop ouverte, de structures " spontanées " répandant et défendant au sein des masses les thèses du Parti tout en étant indépendant de lui au niveau organisationnel 24.

Nous savons que cette solution n'est pas idéale. Dans l'absolu, il vaudrait beaucoup mieux que tout le travail d'agit-prop soit mené directement et exclusivement sous l'égide du Parti. Mais les conditions générales obligent à des choix, et celui-là nous semble constituer la meilleure combinaison possible entre les exigences de pratiques et de direction de l'ensemble des formes de lutte révolutionnaire. Nous nous retrouvons d'ailleurs confortés dans cette opinion par une appréciation que nous empruntons encore au passage dernièrement cité de « Parti et guérilla » : « Dans les conditions actuelles, les formes de lutte légales et semi-légales ont cessé d'être déterminantes ». Alors, puisque choix il doit y avoir, le Parti n'est-il pas tenu de renforcer sa présence dans le cadre des formes centrales de la lutte et de la déforcer dans celui des formes « non déterminantes » ? Poser la question, c'est y répondre, et voilà pourquoi notre organisation préconise depuis longtemps le développement et la structuration auto-disciplinée, en marge du Parti, de groupes ouverts d'agit-prop ; groupes dont l'existence naturelle est objectivement liée à la vitalité de la lutte du Parti et à la praticabilité des libertés démocratiques bourgeoises 25.

k ) De l'expérience et de l'aguerrissement

Il existe encore un petit élément qui, selon nous, mérite d'être cité lorsqu'on examine précisément les questions soulevées par la criminalisation du « Parti combattant ». Cet élément est une illustration, au niveau tactique, de la thèse de Marx que nous avons déjà évoquée : la maturation du Parti révolutionnaire se réalise dans la confrontation avec la contre-révolution.

Cet élément tactique, c'est le fait que la clandestinité d'un Parti fondé « combattant » ne pourra qu'être plus rapidement aguerrie, plus rigoureuse et plus solide que celle d'un Parti non criminalisé ... et tendanciellement plus vulnérable à l'espionnage et aux infiltrations de l'ennemi. En effet, face à un « Parti combattant », l'ennemi se comporte de la même manière que face à une organisation de guérilla à proprement parler : l'impératif, c'est le démantèlement à court terme.

Il en résulte que la politique répressive a pour premier objectif d'anéantir les structures repérées ( et que l'espionnage et l'infiltration sont menés dans cette perspective ). La politique répressive est autre face à un Parti dont l'activité est encore « tolérée » par la bourgeoisie : l'ennemi se limite, dans les premiers moments du processus révolutionnaire — c'est-à-dire lorsqu'il espère toujours faire l'économie d'un conflit ouvert et reconnu comme tel —, à encercler et le Parti. Le danger est alors très clair : dès l'instant où la lutte des classes se radicalise, dès l'instant où le Parti Communiste est criminalisé ( qu'il soit combattant ou non ), un grand nombre de structures seront détruites, voire le Parti démantelé, malgré la clandestinité et les règles de sécurité car, à ce moment-là, l'ennemi remontera d'un coup ses filets, après des années d'espionnage et d'infiltration silencieuse.

Il ne suffit pas de dire que les règles de sécurité ( cloisonnement, secret, etc. ) étant depuis longtemps théorisées, la solidité de la clandestinité d'un Parti non criminalisé peut être égale à celle d'un « Parti combattant ». Cela, ce serait nier l'objectivité de l'expérience dans la lutte. Mais, sans même parler du facteur subjectif qui fait que les règles astreignantes de la sécurité ne peuvent qu'être moins respectées quand elles ne répondent pas à une menace directe, on peut dire d'autre part que la clandestinité d'un Parti « criminalisé » n'est pas comparable à celle d'un Parti qui ne l'est pas.

Face à un « Parti combattant », l'ennemi est généralement forcé d'user plus vite des renseignements qu'il récolte, et cela permet au Parti de se faire une idée plus exacte de la « ligne de front » de la clandestinité.

Les erreurs se payent cash, mais elles sont plus rapidement révélées et, par là, on peut donc adopter les mesures en conséquence. Dans le cas du Parti « toléré » par la bourgeoisie, les erreurs du Parti et l'espionnage / infiltration de l'ennemi peuvent provoquer à terme des dégâts bien plus importants, parce qu'ils restent sans conséquence perceptible durant toute la période de leur accumulation, et ne se révèlent qu'à l'occasion d'un coup de force qui vise à la liquidation totale, — c'est-à-dire trop tard pour que le Parti puisse y répondre par des mesures organisationnelles.

Bien sûr, cette analyse n'a pas valeur d'absolu. L'ennemi peut très bien, par exemple, installer une ou même des taupes à long terme dans un Parti de type « combattant » ( et même jusque dans les structures combattantes de ce Parti ), ou patienter avant d'exploiter un renseignement pour en tirer des résultats plus importants, etc., mais, bien que relative, cette nuance n'est pas contestable : en règle générale, face au « Parti combattant », l'ennemi sera tenté / forcé d'abattre plus vite ses cartes.

Que l'on nous comprenne bien, il ne s'agit pas là au vrai sens du terme d'un argument positif pour la thèse du « Parti combattant », nous ne sous-entendons pas qu'il faut rechercher ou provoquer la criminalisation du Parti pour le mettre d'office à l'école de la lutte ( de la même façon que nous ne nierons pas qu'en finalité, la sécurité du Parti relève de sa fermeté politico-idéologique ). Mais l'élément tactique dont il est question dans ce chapitre ôte simplement beaucoup de portée à une des seules objections fondées dirigées contre la thèse du « Parti combattant », à savoir qu'elle implique dès l'abord la criminalisation du Parti.

Selon nous, cette implication ( que nous reconnaissons, mais que nous disons n'être propre au « Parti combattant » que pendant les toutes premières phases du processus révolutionnaire ) n'a jamais constitué qu'un problème d'ordre tactique, secondaire, pour les forces communistes. Et comme il est plutôt difficile d'éviter la criminalisation corollaire à l'activité révolutionnaire, il n'y a d'autre chemin que s'inscrire à l'école du combat — et d'en sortir victorieux !

4.       En guise de brève conclusion provisoire

Jetant un regard sur notre travail achevé, nous sommes surpris par sa dimension. Et d'autant plus que nous n'avons eu que la prétention d'aborder une question particulière, très importante certes, mais rien qu'une parmi toutes celles d'ordre théorico-stratégique. C'est ce que nous souhaitons voir bien compris : nous n'avons fait part dans ces pages que d'une divergence avec les militants de la Commune Karl Marx, et dans le cadre d'une question bien précise. Que personne n'en tire de conclusion hâtive ou déplacée.

Cela voudrait-il dire que, vis-à-vis de quelqu'autre question politique, nous soyons nécessairement en accord complet avec ces camarades ? Non plus. D'autres désaccords plus ou moins grands existent bel et bien entre eux et nous à propos de questions plus ou moins importantes ( nous avons déjà cité celle de la démocratie bourgeoise et du fascisme, nous pouvons aussi signaler celles du processus de restauration bourgeoise en URSS et en Chine, de la lutte communiste dans les pays périphériques — cf. l'Iran — etc. ), mais, encore une fois, ces divergences de points de vue n'ont pas à être prises pour autre chose que ce qu'elles sont.

Il est inévitable que surgissent des analyses diverses, même entre forces politiques se revendiquant des mêmes principes théoriques généraux, des mêmes méthodes d'enquête et de réflexion, des mêmes objectifs à court, moyen et long termes. Cela ne pose pas problème ; au contraire, d'une certaine façon cela révèle l'authenticité des démarches respectives. Mais, ensuite, il est de notre devoir d'aborder de front ces divergences, parce que finalement elles doivent être résolues. Correctement résolues pour l'avantage de l'objectif commun : le succès de la lutte communiste, partout. On peut alors dire que notre initiative de mettre « publiquement » le doigt sur une divergence avec les camarades espagnols témoigne plus de la recherche d'unité dans le progrès entre forces révolutionnaires — et d'une confiance dans la réalisation de ceux-là — que d'une démarcation ou d'un repli sur nous-mêmes. Nous savons aussi que toutes les divergences d'analyse ne peuvent pas se résoudre à travers le seul instrument du débat théorique. L'expérience reste toujours un élément constitutif essentiel de notre réflexion, et souvent est-ce la lutte elle-même qui achève le débat : ses conclusions objectives sont la vérité !

Enfin, aujourd'hui, ou plutôt : depuis quelques années, nous voyons que s'est amorcée une dynamique d'échange et de confrontation théorico-politique parmi les pôles marxistes-léninistes et, plus largement, au sein des forces révolutionnaires dans les métropoles occidentales. Notre intervention se veut une contribution concrète au succès de ce mouvement, un appel à son développement et sa qualification. C'est ainsi que, plus souvent à l'avenir, le verdict du combat sera favorable à notre cause commune.

Notes

1  A ce propos, nous devons d'emblée apporter une précision. Dans notre propre discussion collective à l'occasion de ce travail, nous avons été amenés à débattre de la formule « guerre populaire prolongée » et de sa pertinence à traduire le contenu du processus stratégique révolutionnaire dans les métropoles impérialistes. Nous avons conclu notre réflexion en décidant, pour notre part, d'user à l'avenir de l'expression « guerre révolutionnaire prolongée » qui nous semble plus fidèle au concept stratégique que nous défendons. Pourquoi ?

Si on entend par « populaire » non pas une simple identité de classe mais le fait que les masses se manifestent en tant que telles sur le terrain militaire du processus révolutionnaire, il devient difficile de faire avoisiner « populaire » et « prolongée ». Dans les conditions propres aux métropoles, l'expérience a confirmé la théorie : l'engagement des larges masses populaires sur le terrain militaire n'est possible que durant une période limitée ; en fait, tout simplement, au cours de la période insurrectionnelle. L'engagement de longue durée des masses populaires sur le terrain révolutionnaire peut se concevoir ici dans la perspective de la défense d'acquis révolutionnaires, de l'édification socialiste, ou encore de la révolution culturelle ; mais pas dans la perspective d'un affrontement militaire ouvert avec les forces armées de la bourgeoisie.

La lutte armée pour le communisme peut et doit mobiliser les secteurs avancés du prolétariat, afin à la fois qu'elle réalise sa légitimité historique et à la fois qu'ils lui assurent un caractère continu en progrès constant. Mais il serait illusoire d'imaginer pouvoir mobiliser les larges masses populaires, en tant que telles, sur le terrain militaire et pour une longue période, dans les conditions propres à nos pays. Même lorsqu'on envisage la période précise de la guerre civile postérieure à la lutte insurrectionnelle ( ainsi, par exemple, celle qui dura jusqu'au début des années 20 en URSS ), on constate que cette mobilisation, ( dans les gardes rouges notamment ), a fini par faire place à l'Armée Rouge. Or, si l'Armée Rouge est l'armée du peuple, si elle est issue de lui et soutenue par lui, si elle en tire toute sa force et sa raison, elle n'est pas le peuple mais seulement l'instrument qu'il se donna pour régler la question militaire.

Le peuple peut soutenir indéfiniment une guerre révolutionnaire, lui reconnaître une légitimité, la considérer comme servant ses intérêts, et par là, contribuer objectivement à son développement. C'est une chose. Le peuple peut aussi faire la guerre — autrement dit, les masses peuvent « descendre dans la rue », s'armer comme elles peuvent, et s'attaquer aux forces du régime à tout instant et par tous les moyens — en la situant comme question principale de l'heure. Et cela, c'est une autre chose.

Voilà pourquoi, plutôt que de parler de « guerre populaire prolongée » ( ainsi qu'il est coutume de le faire au sein du mouvement révolutionnaire européen, et comme nous avions naturellement coutume de le faire nous-mêmes ), nous pensons maintenant qu'il est plus exact, quand il est question du long processus politico-militaire qui mène précisément le mouvement révolutionnaire au seuil de l'insurrection ( à l'entrée en masse du peuple sur le terrain politico-militaire ) de parler de « guerre révolutionnaire prolongée ». Celle-ci, expression des communistes et des secteurs les plus avancés du prolétariat ( à commencer par l'avant-garde de la classe ouvrière ), doit plonger ses racines dans tous les secteurs populaires, afin d'en gagner le soutien et le ralliement croissant ; mais cela n'en fait pas pour autant une guerre « du peuple » au sens strict.

2  « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 10.

3  « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 10.

4  Lénine : « La faillite de la IIe Internationale », Œuvres, vol. 21, p. 216, 1960, Moscou.

5  Il est possible de visualiser la différence entre la conception idéaliste-subjectiviste et celle matérialiste historique de la stratégie révolutionnaire de cette manière.

Le niveau « a » représente le niveau de développement et de maturité que doivent atteindre les forces révolutionnaires pour prendre le pouvoir. Le niveau « b » représente le niveau de non-développement et d'immaturité initiale de ces mêmes forces.

Précisons que si, dans les deux schémas, nous avons symbolisé le progrès des forces révolutionnaires par une ligne régulière, dans la réalité celui-là connaît un tracé bien plus accidenté du fait des aléas de la lutte des classes.

( Dans le souci d'être complet, précisons encore une chose. Quand, dans le schéma « b », nous fixons « au hasard de la nécessité » l'échéance de la situation révolutionnaire, nous ne nions pas que l'endroit de celle-ci est aussi influencé par le facteur subjectif ( l'action des communistes ). Mais nous insistons très fort : celle influence n'est jamais prépondérante ).

Comment comprendre les deux schémas ?

Selon la première conception ( idéaliste-subjectiviste ), les forces révolutionnaires se développent à travers un lent processus de guerre révolutionnaire prolongée, elles s'accumulent et se qualifient jusqu'au niveau supérieur à partir de leur propre détermination et vitalité.

Pour la seconde conception ( matérialiste historique ), l'objectif premier est la rencontre au plus haut niveau avec la situation révolutionnaire. A partir de cette rencontre ( et de sa qualité ) seulement peut se catalyser un mouvement à même d'accéder au niveau supérieur.

De là déroule la juste interrogation stratégique : comment faire pour se présenter à cette rencontre ( dans une certaine mesure imprévisible ) avec les forces les plus développées et mûres, les plus adéquates à se saisir de la potentialité historique offerte ?

6  On n'insistera jamais assez sur la formidable explosion des effectifs du Parti bolchevik à la faveur de la crise révolutionnaire de 1917. En très peu de temps ( et à une époque où le parti n'avait rien à offrir aux carriéristes et aux opportunistes ) il passa de 82.000 à 240.000 militants ! Sans la crise révolutionnaire ( provoquée notamment par la guerre impérialiste, la crise de l’autocratie, la misère et la disette, etc. ), le Parti aurait mis des années, voire des décennies d'un développement progressif pour en arriver à ce résultat ( en imaginant encore que l'histoire s'accommode de pareille projection statistique ! ).

7  Il y a là une confusion possible. Il ne nous vient pas à l'esprit de réserver le terme « d'insurrection » au seul fruit de la combinaison des caractères objectifs et subjectifs de la « situation révolutionnaire » décrite par Lénine ; mais alors il faut d'autant plus insister sur la différence existant entre cette forme d'insurrection et une insurrection qui est en fait la forme de l'ultime phase — la prise du pouvoir d'Etat— de la guerre populaire prolongée intégrant un affrontement territorial. L'offensive générale du FMLN en novembre dernier, au Salvador, correspond malgré son échec relatif à ce dernier type « d'insurrection ».

8  Frédéric Oriach : « La lutte armée, nécessité stratégique et tactique du combat pour la révolution », Edition Textes de lutte, chapitre VII, pt 1, p. 44.

9   Pour mémoire : 4000 arrestations — dont celles de tous les membres du Comité Central — le 28 février 1933 à l'aube, suivies d'autres en masse les 2 et 3 mars, d'innombrables perquisitions dans les quartiers ouvriers quadrillés militairement, de l'occupation de tous les locaux et de l'interdiction de toute la presse communiste, etc.

10 « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 9.

11 « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 13 ( nous soulignons ).

12 Frédéric Oriach : « La lutte armée, nécessité stratégique et tactique du combat pour la révolution », Edition Textes de lutte, chapitre VI, pt 2, p. 36.

13  Afin d'éviter toute confusion, signalons une fois de plus que cette phrase ne sous-entend pas, par extension, que la lutte armée ne peut être engagée que postérieurement à la fondation du Parti. Au regard de la réalité objective de pays qui comme le nôtre, sont dépourvus de toute tradition et représentation révolutionnaire depuis un demi-siècle, il va de soi que la reprise de l'initiative communiste combattante est un élément constitutif incontournable dans le processus de construction du Parti. Mais cela n'est pas le sujet traité dans ce document.

14 « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 12.

15 Certes, en tant que telle, la guérilla n'incarne pas la lutte pour le communisme. Il suffit de jeter un coup d'œil sur le mouvement révolutionnaire européen pour s'en rendre compte : on y découvre aussi des orientations « anti-impérialistes », anarchistes, nationalistes, radicales-réformistes, et tutti quanti. En fait, la guérilla incarne la politique prolétarienne dans la mesure où elle est objectivement fonction stratégique de cette politique, et quand elle s'assume et se fait reconnaître comme telle. C'est d'ailleurs ainsi que le comprennent les camarades de Soria, puisqu'ils écrivent : « Bien entendu, nous nous référons à la guérilla urbaine qui a pour objectif stratégique la révolution socialiste, qui s'appuie sur la classe la plus nombreuse et la plus révolutionnaire de notre société, le prolétariat, et qui se rallie à ses traditions révolutionnaires, aux expériences du mouvement communiste international et aux principes du Marxisme-Léninisme. » ( « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 9 ).

16 Frédéric Oriach : « La lutte armée, nécessité stratégique et tactique du combat pour la révolution », Edition Textes de lutte, chapitre V, pt 6, p. 32.

17 « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 12 ( nous soulignons en gras )

18 Lénine, Œuvres, Ed. du progrès 1967, Moscou, tome 10, pp. 149 à 166.

19  Renseignements recueillis auprès de diverses sources communistes : A. Neuberg ( Neumann ), « Der Bewaffnete Aufstand », 1928 ; Alfred Langer ( Hans Kippenberger ), « Der Weg zum Sieg » ; Ernst Thaelmann, « Richtlinien über des Aufbau der Organisation », Rotfront Verlag, 1929 ; et diverses circulaires internes au Parti.

20 « Parti et guérilla », CR n° 8, pp. 12, 13.

21 Il est important de souligner qu'à cet endroit surgit une autre divergence entre les camarades des PCE(r) & GRAPO et nous. Cette divergence porte sur la définition et l'analyse du phénomène fasciste, de même que sur celles de la démocratie bourgeoise. Selon nous, le fait qu'un système de classe induit par essence la dictature de la classe dominante sur la classe dominée ( dans le capitalisme, la bourgeoisie détient tous les pouvoirs et n'entend en rien les céder ), n'empêche pas que ce rapport dictatorial adopte historiquement des formes diverses. Et dans les métropoles occidentales, le pouvoir de la bourgeoisie s'exprime actuellement, globalement, à travers des régimes démocratiques ( bourgeois ) passant par le parlementarisme, l'Etat de droit, les libertés formelles ( association, expression ... ), etc. Contester cette réalité équivaut simplement à réduire l'analyse politique à un schéma dogmatique, à l'extrême : a-historique ; certes, les régimes bourgeois sont l'antithèse de la véritable démocratie — la démocratie prolétarienne — certes la démocratie bourgeoise connaît une évolution historique qui la voit passer de progressiste il y a un ou deux siècles à toujours plus franchement réactionnaire aujourd'hui, mais cela dit, la démocratie bourgeoise est un régime politique proprement caractérisé qui ne peut être confondu avec le fascisme.

A partir de là, à notre avis, l'Etat espagnol est aujourd'hui dans sa généralité un Etat démocratique bourgeois ( même si des facteurs particuliers viennent compliquer l'analyse, comme, par exemple, le fait que cet Etat ait hérité tel quel de l'appareil répressif fasciste du franquisme, et qu'il en use sans véritable volonté de réforme ). Pour les camarades de Soria, le régime en place actuellement dans leur pays est « un régime politique aux caractéristiques fascistes » ( « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 11 ), et plus généralement, « les démocraties européennes actuelles [sont de] véritables dictatures fascistes », ( idem page 8 ).

22 « Parti et guérilla », CR n° 8, p. 12.

23 Cellules Communistes Combattantes : « A propos de la lutte armée », Edition Textes de lutte, pt 10, pp. 110, 111.

24 Il est possible de visualiser les deux positions de cette manière :

Le concept « d'influence » peut recouvrir des réalités très variées, allant de la simple et générale influence politique ( des personnes reconnaissent d'elles-mêmes la justesse de la ligne du Parti et décident, sans en être militantes, de s'y conformer, de la véhiculer, etc. ) jusqu'au noyautage le plus serré.

25 Cf « A propos de la lutte armée » ( op cit. ) qui définit les rapports entre ces structures et l'avant-garde organisée : « Ces deux luttes sont liées politiquement en ce qu'elles visent à la révolution socialiste, elles doivent être à l'écoute l'une de autre, elles se nourrissent et se renforcent mutuellement. Ce lien politique doit être d'autant plus étroit qu'il est le seul qui peut lier l'espace d'agitation légal et la guérilla révolutionnaire. Un lien organisationnel ouvert entre la légalité et l'illégalité est hors de propos ... ce que tout le monde comprend sans peine. » ( pt 34, p. 116 ).