Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes

Déclaration durant la grève de la faim, juin 1986

Depuis le 9 mai 1986, nous, militant(e)s des Cellules Communistes Combattantes emprisonné(e)s à Bruxelles, menons une grève de la faim collective pour obtenir les conditions de détention élémentaires pour des prisonniers politiques, c’est-à-dire des conditions de détention permettant une activité politique régulière et suivie.

La méthode des communistes a toujours été de relier le particulier au général, de comprendre chaque élément social, politique et économique en fonction des tendances fondamentales de l’époque, et d’en tirer les leçons pour influer sur ces événements dans le sens d’une transformation révolutionnaire de la société. Aborder la question de notre grève de la faim d’une autre manière serait s’exposer à des erreurs fondamentales ( quel que soit le degré de sympathie initiant cette approche ).

La lutte des prisonniers ne peut en effet être isolée de l’ensemble du combat de la guérilla révolutionnaire, et donc de l’ensemble de la contradiction prolétariat / bourgeoisie qui, depuis la fin de la période des luttes anticolonialistes de libération nationale, se replace comme contradiction première au niveau mondial, sans jamais avoir quitté cette place dans notre pays.

La lutte des classes dans les centres impérialistes, et d’une manière particulièrement manifeste aujourd’hui en Belgique, se trouve dans une conjoncture de transition dont la résolution déterminera d’une manière fondamentale les décennies à venir.

La crise du capitalisme, comme à chaque fois qu’une crise de ce type se manifeste, a fortement aiguisé les contradictions de classe, et limité à ce point les marges de manœuvre ( tant du prolétariat que de la bourgeoisie ) qu’aucun espace de négociation ne subsiste désormais. Et, dans cette situation explosive, la bourgeoisie est à l’offensive sur tous les fronts.

Sur le front économique, le train des mesures d’austérité prévu par Martens ne laisse aucun espace neutre dans l’agression des conditions de vie des masses : surimposition des prépensionnés, des indemnités maladie, des invalides ; attaques contre l’assurance-maladie et suppression de lits d’hôpitaux ; réduction des indemnités des chômeurs cohabitant ( soit 75 % des chômeurs ), de celles des licenciés du textile ; baisse des pensions prenant cours en 1987, hausse de l’âge de la retraite des femmes, suppression des rattrapages d’index pour les pensionnés pauvres ; fusion des régimes des accidents de travail et des maladies professionnelles ; massacre de l’enseignement secondaire rénové et hausse du minerval ( soit d’un côté enseignement professionnel pour les masses, et de l’autre université pour les riches  ) ; licenciements, dérégulation sociale et privatisation aux SNCB, Postes, RTT, etc.

Sur le front du militarisme, prolongation de deux mois du service militaire ; production d’armes chimiques par l’OTAN ( et approuvée début mai par François-Xavier de Donnéa ) ; quatrième essai nucléaire US depuis le début de l’année et fin des essais du nouveau missile MX ; lancement d’un programme de « défense contre les missiles tactiques » en Europe ; augmentation des vecteurs de missile ( nouveaux sous-marins atomiques, B-52 porteurs de cruise, etc. ) au delà du seuil prévu par le traité SALT 2 ; etc.

Sur le front idéologique et culturel, apologie démesurée de la concurrence, de l’enrichissement individuel, de l’asocialité et de l’individualisme. Au panthéon bourgeois, Bernard Tapie côtoie Rambo ! Dans les écoles primaires, des BD sont distribuées : « Boule et Bill fondent une entreprise ». Gandois, le boucher de la sidérurgie, publie un best-seller. La diplomatie du porte-avion est glorifiée et on nous appelle à nous réjouir de la bonne marche de la Bourse et de la progression de 133,7 % du bénéfice net de la Société Générale, etc.

Sur le front politico-social, le parlement a clairement et sans hypocrisie révélé son inutilité à faire quoi que ce soit d’autre que laisser les mains libres à la bourgeoisie impérialiste et à l’exécutif : systématisation de l’emploi des pouvoirs spéciaux, systématisation du recours à l’armée pour briser les grèves ( en 1983 pour les éboueurs liégeois, aujourd’hui pour les postiers bruxellois ), enterrement définitif de la concertation sociale depuis l’accord « forcé » de 1981, hégémonie complète des centres de décision transnationaux de la bourgeoisie impérialiste ( CEE, OTAN ... ), etc.

Cette offensive tous azimuts va crescendo, et les mesures d’exception contre lesquelles nous nous battons ici en sont un moment d’une part et une anticipation de l’autre.

Ces mesures d’exception sont en effet à la pointe des mesures de la réaction : elles révèlent le vrai visage du pouvoir bourgeois, de son « État de droit » et de ses lois démocratiques.

Nous avions déjà indiqué, il y a quelque temps, que ces mesures n’ont d’autre origine qu’une attaque consciente et délibérée contre la révolution, la ligne révolutionnaire et le discours révolutionnaire. Ce n’est bien sûr pas par perversion ou par simple esprit de vengeance que les militant(e)s des Cellules Communistes Combattantes sont ainsi dans le collimateur. C’est évidemment parce que, en tant que militant(e)s des Cellules Communistes Combattantes, nous nous sommes nous-mêmes placés à la pointe de la lutte des classes, ou, pour achever le parallélisme, comme anticipation immédiate du processus de lutte du prolétariat. Les mesures d’exception qui nous visent sont le produit de cela.

Ceci dit, il reste une importante mise au point à faire, car si nous parlons d’anticipation ( pour notre combat et pour les mesures contre nous ), c’est bien pour souligner le rapport étroit qui lie les mesures bourgeoises dirigées contre nous et celles dirigées contre les masses, ainsi que le rapport qui unit notre lutte en tant que prisonniers et les luttes des masses. Il ne peut s’agir d’extraire notre grève de la faim afin de l’analyser comme « un duel État vs prisonniers », car sous quelque angle que l’on envisage notre lutte, il est évident que l’ensemble des éléments qui déterminent la conjoncture actuelle détermine également notre lutte et la position de la bourgeoisie vis-à-vis de celle-ci. Le développement et l’exacerbation de la contradiction prolétariat / bourgeoisie révèlent de plus en plus cette identité : si la bourgeoisie fait fi, comme elle le fait dès qu’elle en a utilité, de ses justifications idéologiques ( style « liberté d’expression » ) en mettant tout en œuvre pour nous bâillonner politiquement, ce processus de rupture progressive d’avec le consensus démocratique ( sans que cela soit illégal, car ce n’est pas pour rien que les lois sont faites par et pour la bourgeoisie ! ) est très largement entamé dans l’ensemble de la vie sociale ( installation des missiles contre l’opinion de 79 % de la population, pouvoirs spéciaux, etc. ).

Il nous faut maintenant relativiser cela : nous ne sommes ni l’objet de torture ni d’exécution sommaire et, de même, les manifestations ne sont pas écrasées par l’armée. Ce n’est plus le consensus démocratique, ce n’est pas le fascisme, comment expliquer cela ? Cela tient précisément dans le caractère transitoire de la situation dans laquelle se trouve la lutte des classes. En effet, la lutte menée par le prolétariat et par les masses populaires contre l’austérité, le militarisme et la réaction se déroule sous les formes d’oppositions classiques héritées des dernières décennies et totalement inadaptées à la crise et à l’aggravation des contradictions qui en résulte.

Ce handicap se manifeste pourtant de plus en plus clairement : il suffit de citer le chiffre des grèves d’entreprises, qui s’élevait à 316 en 1980, 252 en 1981, 167 en 1982, 131 en 1983 et tombait à 107 en 1984. L’usure incontestable de ces formes de luttes est un fait acquis. La véritable question qui se pose aujourd’hui est celle-ci : comment dépasser le poids des habitudes et des défaites passées dans une perspective offensive et conquérante ?

Car le grand danger pour les mouvements populaires et prolétariens réside dans l’abattement, la résignation et la soumission, sans qu’une transformation qualitative ne compense les défaites. Toute la lutte des Cellules Communistes Combattantes a été déterminée par ce problème et, nous allons le voir, notre grève de la faim n’y échappe pas.

Il s’agissait, en initiant un processus de guérilla révolutionnaire, de tourner clairement le dos au réformisme et de mettre en avant la nécessité historique de la prise du pouvoir par le prolétariat, de la construction d’un État des travailleurs, pour les travailleurs ; il s’agissait aussi de recomposer la pensée prolétarienne en replaçant le marxisme-léninisme comme guide théorique de celle-ci ; il s’agissait enfin d’ébaucher les éléments pratiques nécessaires à la reprise de l’offensive anti-capitaliste, c’est-à-dire de poser la question de l’organisation et de la violence révolutionnaire. Un document du 1er mai 1985 ( A propos de la lutte armée ) définissait le premier axe des tâches des révolutionnaires : « Le premier, et celui qui est capital en cette période de renaissance du mouvement révolutionnaire international, est une tâche politique. C’est la lutte pour l’émergence et l’élargissement de la conscience de classe. La conscience de classe, cela veut dire une analyse collective des travailleurs sur leur situation dans le cadre du mode de production capitaliste, sur les contradictions des classes au sein de ce système, sur les perspectives historiques du devenir du prolétariat, sur les moyens politico-organisationnels à mettre en œuvre pour renverser la bourgeoisie. (…) Une analyse matérialiste de la classe prolétarienne, de sa situation objective et de son devenir, dans une vision internationalistes, pose en effet un grand nombre de questions, auxquelles seul le marxisme-léninisme peut répondre ».

Il est clair qu’en tant que prisonniers, notre contribution à la classe ne peut être autre : discussions, élaborations politiques, réflexions, analyses et bilans des expériences passées, analyses et critiques des expériences actuelles, telles sont les tâches de tout révolutionnaire prisonnier. C’est précisément pour cela que nous menons notre lutte contre des mesures dirigées précisément contre cela ! Le réformisme au niveau carcéral nous est autant étranger que le réformisme syndical ou pacifiste ; il ne s’agit pas pour nous d’obtenir des améliorations quant aux conditions mêmes de la détention, par rapport à l’hygiène déplorable de la prison par exemple, ou par rapport au poids des mesures de sécurité hallucinantes et hallucinées. Il s’agit pour nous de gagner les conditions pratiques minimales pour poursuivre, ainsi que nous nous étions engagés à le faire dès notre première déclaration, notre lutte pour servir le peuple.

Relier le particulier au général ne s’applique pas seulement à la grève de la faim, il faut que ce lien soit clairement établi vis-à-vis des initiatives de soutien à notre lutte et que nous voyons avec plaisir se développer. Poser la question du soutien à la grève de la faim hors du cadre de l’affrontement prolétariat / bourgeoisie tel qu’il se développe aujourd’hui débouche rapidement sur des impasses et ouvre la porte à de nombreuses erreurs et déviations réformistes et opportunistes.

Les Cellules Communistes Combattantes ont focalisé en quelques années un patrimoine politique, théorique et stratégique de grande valeur. Tant au sein de la guérilla révolutionnaire que dans les rapports entre les Cellules et de nombreux camarades qui les ont approchées, s’est déroulé un débat vaste et diversifié qui constitue une richesse véritable pour quiconque se pose la question de l’affranchissement du monde du travail à notre époque. Chacun d’entre nous individuellement, et plus encore tous collectivement, sommes en partie dépositaires de ce patrimoine; et le soutien à la grève de la faim — au delà de la solidarité et de la révolte — doit être compris à sa valeur réelle, soit restituer aux initiatives révolutionnaires une expérience politique utile et profitable.

Ainsi, de la même manière que notre lutte est partie du processus révolutionnaire, le soutien à cette lutte fait objectivement partie de ce processus.

Jusqu’ici, le ministère refuse de satisfaire nos revendications. Pour lui, deux éventualités se posent. Soit il cède et il sait que les conditions de détention seront mises politiquement à profit par nous pour un progrès politique, pour faire bénéficier les camarades de ce progrès et préparer notre procès ( c’est-à-dire le procès de la bourgeoisie ). Soit il mise sur l’assassinat des prisonniers politiques luttant pour des revendications aussi élémentaires que celles de communiquer et réfléchir.

Que la bourgeoisie et ses instances méprisent ses normes démocratiques dès qu’elles en ont intérêt n’est certes pas un fait nouveau, et nous en avons déjà parlé. Dans le cadre des grèves de la faim, des états voisins et démocratiques n’ont de leçon à recevoir de personne : les militants nationalistes et/ou révolutionnaires d’Espagne, d’Allemagne Fédérale, d’Irlande ou de Turquie morts dans les prisons en témoignent.

La Belgique entrera-t-elle dans ce cercle sinistre ? Il faut comprendre ce que cela signifie. Cela équivaut à la prise de position suivante de la mafia Martens-Gol : les prisonniers seront tués pour qu’ils ne puissent écrire, pour qu’ils ne puissent préparer leur procès, pour que nous gardions le monopole de la propagande et de l’information à propos des Cellules Communistes Combattantes. Un refus signifie cela et rien d’autre.

Marx écrivait, dans « La guerre civile en France » : « La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice se démasquent comme la sauvagerie sans masque et la vengeance sans loi ». C’est précisément de cela qu’il s’agit ici : non seulement l’attitude du ministère démontre l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise, ce qui est déjà une confirmation supplémentaire de la justesse de l’analyse marxiste, mais, en plus, son refus dénonce la crainte qu’il a de cette analyse, de sa propagation par les militant(e)s emprisonné(e)s, ce qui est là une confirmation de la justesse de nos positions ! Et cela ne peut que nous encourager à persévérer.

LE COMBAT NE S’ARRÊTE JAMAIS !

VIVE LA LUTTE ARMÉE POUR LE COMMUNISME !

EN AVANT VERS LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE !

TOUT LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS !

QUE MILLE CELLULES NAISSENT !

Didier Chevolet et Pierre Carette, prisonniers à Saint-Gilles, Pascale Vandegeerde et Bertrand Sassoye prisonnièr(e)s à Forest.