Présentation
Début 1996, le journal La Meuse sollicite une interview de
Pierre Carette, prisonnier des Cellules Communistes
Combattantes. Les autorités pénitentiaires s'y opposent d'office et le contact
ne peut être établi qu'en déjouant la censure.
Le journal souhaite que l'interview soit individuelle. Le
collectif des prisonnièr(e)s
accepte cette condition formelle, les réponses apportées par Pierre devant
traduire le point de vue commun.
Le journal lui fait parvenir une série brute d'une trentaine
de questions. Il les ordonne, parfois les remanie. L'interview prend corps à
travers vingt questions et réponses.
Le journal demande alors plusieurs coupures, par commodité
ou pour des raisons politiques. Après discussion, une version finale est
établie et accord est pris pour l'édition. L'interview est publiée dans La
Meuse, La Lanterne, La Nouvelle Gazette et La Province, le 10 avril 1997.
Cette brochure reprend les vingt questions-réponses, la
version initiale de l'interview. [ Les passages supprimés dans la version finale ont
été placés entre crochets. ]
Le collectif des prisonnièr(e)s s'approprie dorénavant ce document.
Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Interview à La Meuse, La Lanterne,
La Nouvelle Gazette et La Province
10 avril 1997
Aujourd'hui, quelles sont vos conditions de détention ?
Un isolement carcéral total nous a été imposé durant trois
années, jusqu'à fin 1988. Nous en sommes sortis en menant deux grèves de la
faim, longues et dures, et grâce à une mobilisation solidaire internationale.
Nous avons été dispersés début 1989 dans quatre établissements, pour ma part à
la prison de Mons. J'y fais l'objet d'une surveillance spéciale permanente
depuis huit ans.
D'une façon générale, nous avons toujours subi des mesures
de contrôle et des restrictions exceptionnelles. Encore actuellement : espionnage systématique de toute la correspondance,
limitation des visites, obstruction dans l'accès à l'enseignement ... Cette interview a même été interdite sur ordre
ministériel et le courrier du journal saisi.
Tout ce qui nous concerne est envisagé d'une façon politique
agressive et malveillante par les autorités. Leur but est de nous maintenir en
prison le plus longtemps possible, dans les conditions les plus abrutissantes
possible, et surtout sans que cela suscite le moindre remous.
Les quatre CCC emprisonnés ne sont toujours pas regroupés. Vous le
regrettez ? Quels contacts
entretenez-vous encore avec vos camarades ?
L'absence d'êtres aimés est toujours cruelle. Celle des
personnes avec qui on partage ses préoccupations essentielles, auprès de qui on
trouve l'émulation intellectuelle et laborieuse, est toujours frustrante.
Nos avocats ont réclamé à plusieurs reprises que nous
puissions nous rencontrer ponctuellement, comme c'est l'habitude pour des
proches. Les autorités s'y sont chaque fois opposées à dessein. Avec la seconde
grève de la faim, nous avons gagné la possibilité de nous écrire. Nous
entretenons donc depuis 1989 une correspondance collective où nous débattons de
théorie politique, de questions culturelles, où nous tâchons de résoudre les
problèmes qui se posent à chacun, etc. Mais
c'est une relation insuffisante qui, sous la pression de la censure et au fil
des années d'éloignement, se fait sans cesse plus insatisfaisante.
Prisonniers politiques issus d'une même organisation, nous
sommes naturellement unifiés et solidaires. C'est encore vrai pour trois,
Didier Chevolet ayant rompu avec notre collectif il y
a deux ans. Je ne ferai donc pas référence à lui dans
la suite de mon propos.
Vous considérez-vous comme des martyrs de la lutte révolutionnaire ?
« Martyrs » ? Ne
bradons pas ce mot, ce serait indécent. Mes camarades et moi sommes simplement
des militants communistes. Nous tâchons d'être dignes de notre cause, de la
servir avec intelligence et dévouement, sans hésiter devant les efforts et sans
reculer devant les sacrifices. Par plaisanterie, nous disons que pour un
révolutionnaire la prison est un accident de travail !
Militants politiques emprisonnés pour leur activité organisationnelle,
nous sommes bien évidemment des prisonniers politiques. De leur côté, avec une
hypocrisie consommée, les autorités feignent de confondre la seule catégorie
des « prisonniers d'opinion » avec celle, beaucoup plus large, des « prisonniers politiques ». Cela, afin de ne pas devoir nous ranger juridiquement dans cette
dernière. Mais elles nous appliquent depuis plus de onze années toutes sortes
de mesures extraordinaires de nature et à finalité exclusivement politiques.
[ Quel est aujourd'hui votre état d'esprit ? Celui de vos camarades ? ]
[ Plutôt bon. Nous envisageons l'avenir avec
confiance et enthousiasme. L'idéal communiste est juste et beau, il constitue
une intarissable source de force. ]
[ Certes nous n'ignorons pas que la lutte
pour nos libérations sera longue et ardue, mais les premiers échos solidaires
qui nous reviennent sont encourageants. Certes nous savons que la crise qui
frappe la société dans tous les domaines s'aggravera, mais à la longue elle
débouchera obligatoirement sur un refus populaire vaste et décidé, sur un
puissant mouvement de révolte prolétarienne, sur les conditions du renversement
du capitalisme et du pouvoir de la bourgeoisie. ]
[ Les décennies à venir seront pleines
d'événements capitaux, de bouleversements historiques. Les militants
communistes y auront un rôle primordial à assumer. ]
Quel regard jetez-vous sur la lutte de propagande armée menée il y a une
dizaine d'années ?
Un regard de fierté critique. Les Cellules ont fait resurgir
la lutte communiste révolutionnaire dans notre pays pour la première fois
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles ont rappelé que la
soumission à l'ordre bourgeois n'était pas inéluctable. Elles ont montré que le
camp du prolétariat pouvait reprendre l'offensive. Elles ont formulé un projet
politique et stratégique crédible. Elles ont souligné la corruption de « I'extrême gauche »
opportuniste. Bref, elles ont posé un important jalon pour l'avenir du
mouvement communiste en Belgique.
La lutte de 1984/1985 souffrait pourtant d'énormes
faiblesses. Son échec le démontre bien. Mes camarades et moi y avons beaucoup
réfléchi, sans hésiter à pousser la critique à fond. Nous sommes arrivés à la
conclusion que les erreurs commises alors, dues à l'inexpérience, à des
tâtonnements nécessaires, à la subjectivité, etc.,
étaient des erreurs corrigibles qui ne remettaient pas en cause les
orientations politiques et stratégiques essentielles des Cellules Communistes
Combattantes.
[ Le sujet est complexe et il est
difficile d'être plus précis dans les limites de cette interview. J'invite les
lecteurs intéressés à se procurer La Flèche et la Cible. C'est un ouvrage
collectif où nous développons entre autres un bilan critique de l'expérience
des Cellules. ]
Vous ne reniez donc pas ce combat ? Vos convictions idéologiques sont encore intactes ?
Je ne renie rien de l'expérience des Cellules Communistes
Combattantes. Je reste un marxiste-léniniste convaincu. Pour être encore plus
clair : je ne renierai jamais le combat de
1984/1985 [ et
je continuerai à contribuer à la réflexion théorique et politique communiste. ] Je sais que je peux associer Bertrand et Pascale à
cette profession de foi.
Nous n'ignorons pas que cette droiture, cette fidélité à la
cause révolutionnaire nous sera chèrement comptée. Les tripotages et blocages
dans la procédure de libération conditionnelle nous concernant en sont déjà une
preuve. Hier nous étions en prison pour notre engagement dans la lutte armée,
maintenant nous y restons parce que nous conservons notre idéal et nos idées.
Voilà qui devrait quand même amener un peu de monde à
s'interroger sur la nature véritable d'une démocratie bourgeoise [ et sur le
caractère illusoire des garanties qu'elle offre. ]
Vous ne vous sentez pas responsable de la mort [ accidentelle ] des deux pompiers rue des Sols, le
1er mai 1985 ? Vous y pensez
souvent ?
Ce que je pense ou ressens à propos de ce drame n'est pas le
plus important. L'essentiel est ce qui s'est réellement passé cette nuit-là, et
ce qu'on en a dit.
Les Cellules avaient organisé une action contre la FEB,
l'organisation patronale. Plusieurs mesures d'avertissement étaient prises : alerte auprès de la gendarmerie, dépôt de tracts
bilingues tout autour du véhicule piégé. L'évidence de l'attentat était
flagrante dès le premier instant pour toutes les personnes sur place. Les
témoignages des vigiles versés au dossier d'instruction, les communications
radio de la police, etc., sont catégoriques à cet
égard. Les pompiers eux-mêmes constataient dès le début de leur intervention,
imprévue, que la camionnette était bourrée de bouteilles de gaz. [ Tout cela était
tellement clair que la gendarmerie a immédiatement trouvé nécessaire de
fabriquer un faux pour tenter d'incriminer les Cellules. Et que trois ans plus
tard, au procès, l'accusation s'est retrouvée forcée de jouer ce faux comme sa
carte maîtresse. ]
[ Certains sans doute se souviennent qu'aux
audiences nous avons exigé l'audition publique du message d'alerte transmis au
901. La tromperie est ainsi apparue au grand jour. Mais comme la vérité et
l'honnêteté étaient les derniers soucis du président du tribunal, nous avons
été condamnés. ]
Les autorités judiciaires et politiques ont toujours
délibérément caché la vérité sur l'attentat contre la FEB. Elles ont
instrumentalisé la douleur des proches des victimes pour justifier la
répression et dénigrer le combat révolutionnaire.
[ Jusqu'où auriez-vous été dans votre lutte si vous n'aviez pas été arrêté ? Quels étaient les futurs projets
des CCC ? Comptaient-elles
s'en prendre à des personnalités politiques ? ]
[ L'objectif de tout engagement révolutionnaire
sincère ... est la révolution. À notre
époque ici, la révolution cela signifie le remplacement du capitalisme par le
Socialisme, le remplacement du pouvoir de la bourgeoisie par celui du
prolétariat. Les communistes veulent une société sans exploitation ni
oppression, sans misère et sans guerre, où la liberté et le bonheur des Hommes
seront la seule mesure en toute chose. ]
[ Les révolutions n'ont toutefois pas
lieu par la seule volonté des révolutionnaires. Elles sont l'œuvre des classes
sociales dans des conditions historiquement déterminées. Les révolutionnaires
ont pour tâche de contribuer à ce mouvement objectif, d'en stimuler les
poussées, valoriser les potentialités, anticiper les besoins, etc. Un travail qui repose sur l'analyse politique,
se développe dans une perspective stratégique et requiert un instrument central : le Parti de classe. ]
[ Politiquement, les Cellules Communistes
Combattantes reposaient sur le Marxisme-Léninisme.
Stratégiquement, elles s'inscrivaient dans la perspective de la guerre
révolutionnaire prolongée. Organisationnellement,
elles tendaient à la fondation du Parti Communiste Combattant. Il s'agit des
éléments qui forment dorénavant le cadre obligé de toute lutte communiste
authentique dans un pays comme la Belgique. Je conseillerai une nouvelle fois
aux lecteurs que cette matière intéresse particulièrement de consulter La
Flèche et la Cible. ]
Peut-on aller jusqu'à tuer pour une cause ?
Aujourd'hui on massacre à grande échelle sur tous les
continents pour du profit, pour satisfaire à « l'économie de marché ». On
extermine par la faim et la maladie dans le tiers-monde. On fomente des guerres
et planifie des génocides. On étrangle au moyen d'embargo ou on écrase sous les
bombes les pays qui dérogent au nouvel ordre mondial. On noie dans le sang les
révoltes populaires. On empoisonne des régions entières. On accule au désespoir
des masses « d’exclus » : Etc.
Ca, c'est la réalité. C'est là-dessus qu'il faut s'interroger
plutôt que poser des questions abstraites et hypocrites. Peut-on accepter tous les
crimes du capitalisme, de l'impérialisme, de la bourgeoisie ? Non, je n'accepte pas.
[ Apparaît alors la question de comment
changer les choses. La réponse ne dépend pas de moi, de ce que je pourrais
penser ou souhaiter. Elle dépend de la nature du problème. ] La domination de la bourgeoisie repose
fondamentalement sur la force [ ( même si la tromperie permet de la tenir en réserve à
certains endroits durant certaines périodes. ) ] Elle ne peut donc être véritablement renversée que
par la force. Qu'on le veuille ou non, c'est un rapport de guerre. Les Hommes
ne connaîtront la paix et la liberté qu'après avoir vaincu la bourgeoisie
mondiale dans la guerre qu'elle fait à l'humanité.
En dix ans, le monde a bien changé. Comment, depuis votre prison,
avez-vous vécu l'effondrement du Mur de Berlin, la disparition du bloc
communiste ?
Le monde n'a pas fondamentalement changé ces dix dernières
années. À l'Est ce n'était pas le communisme et à l'Ouest la crise du
capitalisme s'aggrave inexorablement.
Mes camarades et moi nous situons dans la lignée du
mouvement communiste international qui a rompu avec l'URSS il y a plus de
trente ans. [ A
cette époque, le PCUS et le gouvernement soviétique étaient tombés aux mains de
la clique révisionniste dirigée par Kroutchev et le
processus révolutionnaire ouvert en Octobre 1917 s'en retrouvait définitivement
enrayé. Une nouvelle bourgeoisie était apparue. Par le biais de privilèges,
sinécures, passe-droits, etc., elle a détourné à son
profit la richesse créée par le peuple travailleur. Année après année, elle a
grippé et finalement brisé les mécanismes économiques, politiques et sociaux du
Socialisme. ]
[ C'est cette réalité-là qui s'est effondrée
à l'Est et, avec elle, son corollaire idéologique à l'Ouest. Tant mieux. Au
moins comme ça les choses sont plus claires. Ici, on ne confondra plus Brejnev
et le communisme, ni le PCB et la révolution. ]
La liquidation des aventures révisionnistes à l'Est tout
comme celle des PC occidentaux m'ont donc conforté
dans mes choix. Les solutions justes réapparaissant tant que les problèmes se
posent, il n'y a pas lieu d'en douter :
le communisme est en voie de réapparition ...
partout dans le monde.
Que vous inspire l'avènement de l'Union économique et monétaire,
l'objectif de Maastricht ?
Ce sont des conséquences logiques et nécessaires du
capitalisme. Elles servent parfaitement l'intégration des économies
européennes, la compétitivité des entreprises et la gestion de la masse
monétaire. Imaginer une économie capitaliste sans le genre de contraintes qui
ont présidé au Traité de Maastricht est illusoire. Ce n'est pas non plus pour
rien que l'ensemble des partis politiques ont quasi la même position à ce propos : ils relèvent tous d'un système qui leur dicte ses
propres lois.
L'Union économique et monétaire et
l'objectif de Maastricht signifient concrètement l'exploitation accrue des
prolétaires qui conservent un emploi et la réduction de la couverture sociale de
ceux qui en sont privés. Rien d'étonnant à cela : l'essence du capitalisme consiste à augmenter les profits de
quelques-uns, pas à assurer le progrès social.
Le triomphe du capitalisme et de l'Europe de l'argent signifie-t-il la
défaite de votre combat ? [ Vous auriez déclaré un jour à la
juge d'instruction que « la lutte des classes
ne s'arrête jamais ». Croyez-vous encore
à la révolution ? De quelle manière ? ]
Ce capitalisme triomphant est avant tout le capitalisme
pourrissant. [ Les
mécanismes qui ont fait sa dynamique historique jusqu'au siècle passé ( économie de marché, exploitation du travail salarié ) s'auto-asphyxient et
étouffent l'humanité toute entière avec eux. ]
Selon le dernier rapport annuel du Programme des Nations
Unies pour le Développement, le patrimoine des 358 milliardaires dans le monde
dépasse à présent les revenus annuels cumulés de pays qui représentent ensemble
45 % de la population mondiale. 358
contre 2,5 milliards ... Ca se passe de commentaire. Dans
ce rapport, on évoque la « croissance » inégalitaire ( au sein des pays et entre pays ), sans création d'emplois, sans droit à la parole,
sans racines culturelles ... bref, pour finir, la « croissance sans avenir ». C'est exactement ça le triomphe actuel du capitalisme. Et il ne pourrait
pas être autre. Les contradictions ont déjà atteint la cote d'alerte, elles
empirent, la seule alternative à la décadence capitaliste est plus que jamais
la révolution socialiste.
[ Le système socialiste, c'est
l'organisation du travail à partir de la propriété collective des moyens de
production et dans le seul but d'assurer un progrès constant des conditions de
vie de la population. ] Plus de « lois du marché »,
de « dette publique », de « compétitivité », de spéculation et autres combines de voleurs : on travaille tous, on travaille à une fin
socialement utile, on travaille moins. [ Le Socialisme est le rapport social
à travers lequel les hommes et les femmes construisent, exercent et étendent
pour la première fois leur pouvoir collectif sur leur présent et leur devenir
communs. ]
Bien entendu, sur le chemin qui mène au Socialisme, on
trouve le barrage de la bourgeoisie qui, avec son État, s'est donné les moyens
de défendre son système et ses privilèges. Il faut renverser tout ça. Ca ne
s'écroulera pas tout seul. La situation n'est pas révolutionnaire ? Elle le deviendra. Le mouvement communiste est
faible ? Il deviendra fort. Contribuons-y. [ C'est ainsi que
l'on œuvre dans la dialectique historique. ]
Les Cellules Communistes Combattantes ne sont donc pas mortes ? Vous espérez que d'autres prennent
la relève ?
L'organisation dans laquelle nous avons milité, mes
camarades et moi, n'existe plus. Nous avons espéré pendant plusieurs années
qu'elle se relèverait des coups policiers de l'hiver 1985 mais nous avons dû
finalement nous rendre à l'évidence. Cette initiative-là est close.
Il en reste un héritage politique, une expérience riche
d'enseignements. Je crois que pour beaucoup de prolétaires, de militants, les
Cellules sont encore aujourd'hui le symbole de la lutte authentique, assumée de
façon conséquente. Je suis convaincu que la reprise de l'activité
révolutionnaire, inévitable tôt ou tard, sera d'autant plus forte qu'elle
pourra s'appuyer sur un bilan critique du combat de 1984/1985.
Les Cellules Communistes Combattantes appartiennent
maintenant à l'histoire du mouvement communiste dans notre pays ... et cette histoire ne fait que commencer.
[ Lors de votre procès, l'avocat général Jaspar a déclaré « qu'il n'y avait guère de différence
entre vous et l'ayatollah Khomeyni ». Prenez-vous cela comme un
compliment ? ]
[ Lors des audiences, Jaspar a en effet
raconté beaucoup d'imbécillités, dont celle-là où transparaissent son ignorance
et son racisme ordinaires. ]
[ En 1979, le mouvement populaire
iranien a renversé le régime du shah totalement inféodé aux USA. Craignant
l'avènement d'un régime socialiste dans ce grand pays, les impérialistes ont
appuyé l'alternative d'un pouvoir religieux. Khomeyni
a été débarqué de France. Il a liquidé les forces progressistes et
révolutionnaires et établi le régime bourgeois de la République Islamique.
Aujourd'hui en Iran, comme du temps du shah, le peuple est opprimé et exploité,
les communistes sont pourchassés, arrêtés, torturés, assassinés. Ca fait quand
même une différence entre ce régime et nous, même si Jaspar ne la voit pas. Ca
établit aussi un lien de parenté entre Jaspar et les procureurs de la
République Islamique d'Iran, même si ce cousinage lui déplait sur le plan
culturel. ]
[ Moi, je suis solidaire des masses
iraniennes opprimées et exploitées, je suis au côté des hommes et des femmes
d'Iran en lutte contre l'impérialisme, contre le régime obscurantiste et
criminel de la République Islamique. Et je mets dans le même sac tous les
petits jaspars de Bruxelles et Téhéran. Avec ceux de
Lima, Stuttgart, Ankara, etc. ]
Avez-vous retrouvé ( « le bon sens » qu'espérait l'avocat général
Jaspar en réclamant lors de votre procès de longues années de prison ?
Le « bon sens » selon un procureur bourgeois, c'est l'esclave embrassant
le bâton du maître. Un homme libre ne trouve ni retrouve jamais ce sens-là.
Cela dit, ce qui a cours dans les prisons belges
aujourd'hui, c'est la misère, la brutalité, le racisme, l'exploitation, le
désespoir, la crasse, l'alcool et la drogue.
Vous ne reconnaissez toujours pas la justice qui vous a condamné ?
Une justice qui encourage le patronat à voler le monde du
Travail n'est pas ma justice. Ni une justice qui autorise les banques à piller
les finances publiques. Ni une justice qui couvre la fermeture d'écoles,
d'hôpitaux, etc., dont la population a besoin. Ni une
justice qui cautionne les rackets néocolonialistes, le brigandage impérialiste,
les génocides. [ Ni
une justice qui criminalise les moyens nécessaires à la révolution
prolétarienne. Etc. ]
La justice ( le
droit, l'appareil judiciaire ) ne tombe
pas du ciel, elle représente toujours le pouvoir de la classe dominante dans la
société. Aujourd'hui dans notre pays, la justice est fondamentalement au
service du capitalisme et de la bourgeoisie.
Les communistes se battent pour un autre monde, donc une
autre justice. C'est celle-là que mes camarades et moi reconnaîtrons.
La procédure de libération conditionnelle des condamnés à perpétuité
s'enclenche automatiquement après dix ans. [ Vous est-elle appliquée comme aux
autres ? ] Acceptez-vous d'en bénéficier ?
La loi Lejeune établit en effet que les condamnés à
perpétuité peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle après dix années
de détention. Dans les faits, celle-ci est accordée en moyenne vers la douzième
année. Mes camarades et moi serions ravis d'être libérés dans quelques mois.
Mais les bourgeois et leurs fonctionnaires voient les choses
d'une toute autre manière. Pour eux, il n'est pas question que des
révolutionnaires sortent de prison. En conséquence, la procédure habituelle de
libération conditionnelle ne nous est pas appliquée.
Il existe au sein du ministère de la Justice un petit comité
occulte composé de représentants du Groupe interforces
antiterroriste, de la Sûreté de l'État, du ministère et de l'administration
pénitentiaire, qui se réunit spécialement tous les deux mois pour gérer la
répression contre nous. Il court-circuite actuellement la procédure normale de
libération conditionnelle. A Lantin et à Mons, les
enquêtes préliminaires n'ont même pas été engagées. A Namur, l'avis favorable
remis pour Pascale Vandegeerde a été balayé par
l'entrée en scène du directeur de l'anthropologie pénitentiaire en personne. Du
jamais vu ! Et quand les psychiatres sont
désignés pour s'occuper spécialement des prisonniers politiques, il y a de quoi
commencer à réfléchir.
La question de nos libérations n'interpelle pas seulement
les communistes. Qui peut accepter que l'on maintienne en prison des militants
pour ce qu'ils représentent, pour ce qu'ils pensent ? La mobilisation la plus large sera nécessaire pour
empêcher cela.
Espérez-vous une grâce royale ?
Franchement, peu m'importe la formule administrative
finalement retenue et qui signera le papier. Je me doute bien qu'au plus haut
niveau de l'État on se refilera la patate chaude. Ma préoccupation c'est le
résultat : la libération de mes camarades
puis la mienne.
Sorti de prison, vous seriez prêt à réintégrer la société ?
L'aurais-je jamais quittée ? Je ne crois pas. Certes, je suis emprisonné depuis plus de onze
années. Mais par ce que je suis, ce que j'ai fait et je fais, je n'ai pas
quitté un seul instant le cœur de la société. [ Socialement je suis un prolétaire,
idéologiquement je suis un communiste. ]
La bourgeoisie et ses flics peuvent me fourrer où ils veulent tant qu'ils
veulent, ils ne me couperont jamais du monde du Travail et de la cause
révolutionnaire du prolétariat.
Par contre, j'en vois à qui il faudrait apprendre ce qu'est
l'insertion dans la société, dans le travail, dans l'effort et les soucis
communs. Je vise tous les parasites et privilégiés qui vivent de l'exploitation
capitaliste, des rapines impérialistes, de la spéculation, des trafics en tous
genres, je pense à tous les profiteurs des institutions, à toutes ces éminences
qui vivent grassement sur notre compte et s'autorisent de surcroît à nous faire
la morale !
[ La traditionnelle dernière question : Et si c'était à refaire ? ]
[ En l'état actuel des connaissances, il
n'est pas encore possible de remonter le temps. Comme je ne vois pas l'intérêt
d'une réflexion métaphysique, je citerai simplement quelques mots d'Aragon, le
grand poète communiste. ]
[ Et s'il était à refaire
Je referais ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle des lendemains. ]