Collectif des prisonnièr(e)s des
Cellules Communistes Combattantes
Première interview au journal Le Peuple, 25 avril
1987
Quel est actuellement votre régime de détention ?
Un régime destructeur : l'isolement carcéral total, la
prison dans la prison. L'année passée, par la grève de la faim et la
mobilisation qui s'est faite autour d'elle, nous avons conquis certaines
améliorations nécessaires au travail politique ( information, lectures,
correspondances ). Depuis quelque temps, la
situation se dégrade à nouveau considérablement. Mais celui qui veut discuter
avec nous peut encore directement nous écrire.
Êtes-vous satisfaits de la manière dont se déroule l'enquête
au point de vue des droits de la défense ?
Il nous est impossible de répondre à une telle
question et ce pour deux raisons.
D'abord, parce que la justice ( l'appareil judiciaire et le droit ) est un produit du régime social
actuel : elle en adopte le
caractère de classe. Cette justice, ce sont les intérêts de la bourgeoisie
érigés en lois. Á ce titre, nous ne lui reconnaissons aucune légitimité et
notre seul rapport à elle est l'affrontement, dans la continuité de la lutte
des classes. Notre droit est celui de la libération du monde du Travail et non
celui de son oppression.
Ensuite, en conséquence, parce que nous n'avons pas à
nous « défendre » face à cette justice : nous ne reconnaissons aucun droit
à la bourgeoisie de nous mettre en accusation. Faire le procès de la Révolution est impossible ! Et lors des audiences, ce sera à la
bourgeoisie de répondre de ses crimes, au capitalisme de répondre de sa
caducité et à l'impérialisme de répondre de sa barbarie.
Avez-vous ou non posé des bombes ?
Nous militons dans une organisation communiste
révolutionnaire qui, dans le cadre de la propagande armée, mène des attaques à
l'explosif contre des centres politiques, économiques et militaires du pouvoir
bourgeois. En tant que militants et militante, individuellement et
collectivement, nous revendiquons et assumons l'ensemble du travail de notre
organisation.
Avez-vous commis un acte terroriste quelconque ?
Les Cellules Communistes Combattantes n'ont jamais
réalisé le moindre acte terroriste ! La politique terroriste consiste à paralyser l'ennemi par
la crainte et cela n'a rien à voir avec la propagande communiste. La ligne
politique et la pratique des Cellules portent des éléments théoriques,
politiques et stratégiques nécessaires aux luttes anti-austérité et anti-guerre
pour qu'elles puissent dépasser leur actuelle impuissance. On est bien loin du
terrorisme !
Maintenant, il est possible que la perspective de
voir ces luttes se libérer du carcan stérile de la collaboration de classe et
du légalisme pour s'engager sur la voie de la Révolution effraie la bourgeoisie ... Mais le but n'est pas de faire
peur à la bourgeoisie :
il est de lui arracher le pouvoir, de lui ôter toute possibilité d'exploiter le
prolétariat et de mettre fin définitivement à ses sales trafics.
Quels objectifs poursuivez-vous ?
En finalité l'édification de la société communiste,
c'est-à-dire une société d'où l'exploitation de l'homme par l'homme est bannie,
une société où la production est mise au service de l'Humanité et non le
contraire, une société sans classe et sans État, une société à laquelle chacun
contribuerait selon ses moyens et où chacun recevrait selon ses besoins.
S'engager sur la voie menant à cette société, c'est-à-dire
marcher vers la Révolution communiste, reste l'unique alternative au
capitalisme en crise. Ce dernier, avec sa logique de profit, se révèle
incapable de gérer les forces productives et les richesses issues du travail
social. Dans sa logique moribonde, la possibilité matérielle désormais ouverte
d'assurer à tous les habitants de la planète une vie décente et meilleure chaque jour, se traduit par des crises, le
chômage, la surexploitation, des guerres, des famines, etc.
Pour le monde du Travail, le choix est clair : soit continuer à subir les
convulsions de ce système à l'agonie, soit travailler à son dépassement dans le
Socialisme. Entre la soumission et la Révolution, il n'y a plus rien ...
C'est donc dans une perspective révolutionnaire que
les Cellules fondent leur politique. Elle consiste ( en résumé ) à contribuer dans la mesure de
leurs moyens à l'émergence et au développement d'éléments nécessaires au succès
du processus révolutionnaire.
Quels sont ces éléments ?
Avant tout un réarmement théorique, politique et
idéologique du prolétariat. Il nous faut rompre d'avec les logiques kollaborationnistes et/ou défaitistes pour élaborer une
stratégie générale fiable, une ligne politique précise et audacieuse, des
analyses lucides et courageuses, des tactiques adaptées et offensives, etc.
Et ce réarmement impose un retour aux principes du Marxisme-Léninisme.
Ensuite, au niveau pratique, l'objectif central est
la fondation dans la lutte du Parti Communiste Combattant.
Avez-vous l'impression que l'on cherche à faire traîner
l'enquête, que ce soit avant les arrestations ou après celles-ci ?
Pas du tout.
On a affirmé dans les milieux judiciaires que vous étiez
liés à d'autres branches du « terrorisme international » ( Action
Directe, RAF ... ) Est-ce exact ?
Les Cellules Communistes Combattantes ont de nombreux
contacts avec des groupes, des organisations, ainsi qu'avec des militants et
des travailleurs isolés. Dès qu'une convergence politique ( même faible ) apparaît dans la lutte, tout est
fait pour établir un contact. Ce contact consiste avant toute chose à
confronter les lignes et options politiques, à échanger des critiques et à en
discuter, à éclaircir les éventuelles incompréhensions, etc.
Prenons l'exemple d'Action Directe. Considérant
l'évolution de son discours, nous avons estimé en 1983 qu'une possibilité de
rencontre politique existait. Les débats nous ont prouvé que ce n'était pas le
cas et qu'un fossé trop large séparait notre ligne marxiste-léniniste et la
ligne anarchiste d'AD. Les contacts furent dès lors interrompus.
Quelle était la nature de ces liens ?
Cela varie selon le degré d'unité politique estimé
lors des discussions et démontré dans la pratique. Lorsqu'une unité apparaît
suffisante ( ou
suffisamment porteuse de progrès ), des coopérations pratiques peuvent être envisagées.
S'agirait-il d'un échange d'information, de matériel ?
Oui, par exemple, mais l'unité peut aller plus loin.
Rappelons notamment l'attaque contre le réseau des pipe-lines de l'OTAN en
décembre 1985 lors de la Campagne Pierre Akkerman : cette attaque fut menée de concert
en Belgique par les Cellules et en France par un groupe de militants
communistes internationalistes ( il
n'est plus ici question d'Action Directe ).
Mais il y a d'autres précisions à apporter.
C'est avant tout l'unité politique qui détermine
l'unité pratique ( quelle
qu'elle soit ) et jamais le contraire.
Ensuite, les communistes sont attachés au principe « compter sur ses propres forces » et, en ce sens, il ne peut être
question de faire dépendre la lutte d'apports extérieurs ou de compter sur ce
genre d'apports pour lutter.
Avez-vous été liés à d'autres organisations ( OLP, IRA ... ) ?
Vous citez l'OLP et l'IRA. Pourquoi serions-nous liés
à ces organisations ?
Nous sommes des communistes : nous n'avons de liens qu'avec des camarades des autres
pays et qu'avec des travailleuses et travailleurs de notre pays.
Nous avons des discussions avec des camarades engagés
dans la lutte prolétarienne même s'ils ne pensent pas que la lutte armée soit
adaptée aujourd'hui. Nous leur exposons alors pourquoi nous sommes convaincus
du contraire, que cette lutte est nécessaire, et nous essayons de progresser
ensemble.
Mais pourquoi irions-nous nous lier avec des gens ou
des organisations qui n'ont ni les mêmes buts ni les mêmes principes que nous,
des organisations qui ne luttent pas pour la révolution prolétarienne ( ou qui sont même dirigées par des
factions bourgeoises ! ) ? Parce qu'elles mènent la lutte
armée ? Ce serait absurde.
L'unité se fonde sur des buts et des principes
communs et non sur telle ou telle forme de lutte. Il n'y a pas plus d'union de
poseurs de bombes ( « d'Internationale terroriste » ) qu'il n'y a d'union des
distributeurs de tracts ou d'internationale des colleurs d'affiches !
La confusion entre ligne politique et forme de lutte
n'est pas innocente. Elle est d'ailleurs souvent provoquée et entretenue par la
bourgeoisie : cela lui permet de
dépolitiser et diffamer la lutte armée pour le communisme en l'associant à des
choses qui lui sont tout à fait étrangères.
Certains journalistes ont évoqué des liens possibles avec
d'autres « terroristes » appelés « tueurs du Brabant Wallon ». Y a-t-il eu des contacts ?
Voici l'exemple type de ce dont nous venons de
parIer. Après avoir collé l'étiquette générique « terroriste » sur les Cellules Communistes
Combattantes, les amalgames les plus ignobles et les plus absurdes sont faits ! Et alors que le gangstérisme des « tueurs » est un produit de l'idéologie et
de la pratique bourgeoise ( piller
et massacrer le peuple ),
alors qu'il constitue le contraire de notre lutte, on essaie de diffamer notre
combat en l'associant à lui.
Peu après votre arrestation, un quotidien carolorégien a
reçu une lettre estimant que « la lutte continuait ». La lutte continue-t-elle ?
Bien sûr. Les Cellules Communistes Combattantes sont
produites par la situation économique et sociale de la Belgique des années 1980
et cette situation ne se transforme pas par quelques arrestations : quand cent hommes ont faim, ce
n'est pas parce que l'on met le premier qui gueule en prison que les
nonante-neuf autres sont rassasiés ! Les intérêts du prolétariat sont objectifs et ils
nécessitent la reprise de l'offensive, l'affranchissement de tout légalisme,
réformisme, parlementarisme, etc., et l'organisation d'un processus de lutte
révolutionnaire ouverte pour la prise du pouvoir. Tant que le même problème
restera posé, les mêmes justes solutions s'imposeront et chaque jour davantage.
Ceci dit, la lettre dont vous parlez ne vient pas de
notre organisation.
Un attentat meurtrier a eu lieu au Palais de Justice de
Liège. Il n'a jamais été revendiqué. Portait-il la marque des Cellules
Communistes Combattantes ?
Non.
Acceptez-vous la théorie des Brigades Rouges : il faut déstabiliser l'État
par des actions terroristes pour créer les conditions d'un pouvoir fort qui,
lui-même, suscitera la « révolution prolétarienne » ?
Cette théorie tout à fait fantaisiste émane des
services policiers. Jamais les Brigades Rouges n'ont envisagé pareille théorie
et tous ceux qui ont lu ne fût-ce qu'un texte des BR ou qui ont un tant soit
peu étudié leur politique le savent.
Lorsqu'une organisation révolutionnaire suit une
ligne tellement claire, tellement juste, tellement adaptée aux besoins et aux
souhaits des masses qu'il est inutile d'essayer de l'attaquer de front, la
bourgeoisie invente alors de toutes pièces une autre ligne et claironne à qui
veut l'entendre qu'il s'agit là de la « vraie »
ligne de l'organisation révolutionnaire. C'est un procédé aussi vieux que
minable.
Ceci dit, il est vrai que l'offensive révolutionnaire
provoque un raidissement de la bourgeoisie. C'est normal : elle est attaquée, elle se défend.
Nous savons que la bourgeoisie organise sa domination démocratiquement lorsque
le peuple courbe l'échine, mais lorsqu'il décide de relever la tête et de
prendre son avenir en main, le rose bonbon de la paix sociale fait place au
kaki de la domination ouverte. Nous en avons déjà fait l'expérience dans notre
pays.
La seule vraie question qui se pose alors au
prolétariat est d'être en définitive plus fort que la bourgeoisie et ceci afin
de lui briser définitivement les reins.
Bien sûr, la juste compréhension de votre question
est rendue difficile par la clique des geignards qui courent dans les jambes du
monde du Travail en prônant la soumission et en pleurant d'avance la perte de
leurs privilèges, ces privilèges que la bourgeoisie accorde à ses domestiques.
Mais cette engeance a de moins en moins de crédibilité auprès des travailleurs.
Une dernière chose. Cette théorie est aussi absurde car elle suppose qu'il
faudrait quelque chose en plus ( un
« pouvoir fort » ) pour qu'un processus
révolutionnaire de masse émerge. C'est ridicule : comme si l'exploitation
capitaliste encore aggravée par la crise et le bellicisme ne suffisait pas
amplement à imposer un tel processus ! Cela ne rimerait à rien de jouer la politique du pire.
Les actions CCC ont été en général plus prudentes, moins
aveugles que celles d'autres mouvements du même type. Etait-ce le fruit d'une
analyse des résultats obtenus par ces mouvements ? Si oui, laquelle ? Sinon, quelle est la bonne explication ?
Bon. Tout d'abord, ces actions ne furent pas aveugles
du tout ! Chacune visait un rouage
précis et effectif de l'appareil d'exploitation et de domination de la
bourgeoisie.
Quant au fait que tout soit organisé et planifié pour
que les masses ne soient pas lésées par des actions révolutionnaires, c'est
tout simplement le produit de la morale communiste la plus élémentaire : servir le peuple !
Il est évident que nous étudions soigneusement les
expériences de la lutte armée pour le communisme ailleurs en Europe. Nous
portons principalement notre attention sur deux luttes qui, comme la nôtre,
suivent rigoureusement les principes du Marxisme-Léninisme : les Brigades Rouges en Italie et
les PCE(r) et GRAPO en Espagne. L'analyse et l'expérience de ces luttes ont
d'ailleurs joué un grand rôle dans l'édification de notre ligne politique : pour nous, il s'agit d'une
référence majeure, aussi riche en leçons que la Commune de Paris, la Révolution
d'Octobre 1917, le Komintern ou la Révolution
Culturelle Prolétarienne en Chine par exemple. C'est pourquoi nous conseillons
sans cesse à tous nos camarades, à tous ceux pour qui la lutte prolétarienne
n'est pas un vain mot, de lire les textes de ces organisations.
Pour en revenir à la question initiale, nous
ajouterons que ces organisations ont une vigilance au moins égale à la nôtre
pour ne pas léser les masses lors des opérations de guérilla.
L'attentat de la rue des Sols à Bruxelles a-t-il selon vous
marqué un tournant dans vos rapports avec l'opinion publique ?
Oui et non. L'attaque contre le siège du patronat
belge le Premier Mai a été très bien accueillie. Comment aurait-il pu en être
autrement ? Pour la première fois
depuis longtemps, le Premier Mai reprenait tout son sens.
Mais il y a eu aussi la mort de deux pompiers et la
manœuvre de la bourgeoisie pour transférer sur les Cellules la responsabilité
accablante de la gendarmerie dans ce drame. Cette manœuvre morbide ( bien digne de
son auteur ) avait pour but d'exploiter
cyniquement la légitime indignation des masses pour la transformer en un rejet
de la politique révolutionnaire.
Ceux qui connaissaient le sens de notre lutte, ceux
qui savaient l'extrême vigilance des Cellules à la sécurité des masses ou bien,
plus simplement, ceux qui avaient plus confiance dans les révolutionnaires que
dans la propagande bourgeoise, tous ceux-là ont fait bloc autour des Cellules
Communistes Combattantes pour contrer cette manœuvre répugnante.
Mais il est vrai que d'autres travailleurs, plus
vulnérables à la propagande des faiseurs d'opinion publique de la bourgeoisie,
ont été troublés par cette manœuvre.
Avez-vous eu l'impression, au début de votre action — je
pense notamment à l'action contre les pipe-lines de l'OTAN — qu'il y ait eu un
courant de sympathie dans l'opinion publique ?
Bien sûr : beaucoup de gens trouvaient cela rigolo ! La mine déconfite des ministres,
la police bredouille, le ridicule du mammouth, etc ... c'était très amusant. Mais cela
a peu d'intérêt.
Au fil du temps, ceux qui n'y voyaient qu'un excitant
remake de David et Goliath se sont lassés. Par contre, ceux qui sont
directement impliqués dans, ou concernés par les luttes contre l'austérité et
le militarisme, ont commencé à en peser la crédibilité, le sérieux, la
rationalité et les potentialités de victoire.
Vous vous revendiquez du courant
communiste, les communistes contestent que vous y soyez mêlés. Comment en
sortir ?
Très simplement. Regardez qui est communiste dans
l'étiquette et qui est communiste dans le combat !
Autrement dit, regardez qui trahit le Marxisme-Léninisme et qui l'applique. Regardez qui vend les
travailleurs pour un strapontin parlementaire et qui lutte pour la conquête du
pouvoir des travailleurs. Regardez qui collabore à la domination de la
bourgeoisie en portant aux nues sa démocratie et qui combat pour la disparition
de cette classe parasite. Ou enfin regardez qui se creuse un nid douillet dans
le régime capitaliste et qui lutte, quelles qu'en soient les conséquences pour
les combattants, pour le communisme.
C'est la manière la plus sérieuse d'y voir clair et
nous sommes sereins quant au verdict des travailleurs et des travailleuses lorsqu'ils
auront fait cet examen.
Pierre Carette, Didier Chevolet, Bertrand Sassoye,
Pascale Vandegeerde,
Militant(e)s des Cellules
Communistes Combattantes